Dix-huit ans d’attente, pour un album qu’on attendait plus. Et puis le début d’une autre histoire qui s’annonce passionnante...
C’est une vieille question qui nous taraude. Comment après avoir enregistré un chef-d’œuvre, des génies de la trempe de Kevin Shields, Burial ou Aphex Twin se retrouvent face à un mur ? Sont-ils délaissés par l’inspiration ? Pris par le doute, la peur de décevoir, ou de ne jamais pouvoir faire aussi bien ? Une seule réponse ne saurait, évidemment, expliquer cette situation inextricable, cette machine complexe qu’est la psyché humaine…
The Wrens, formation culte du New Jersey, a aussi fait les frais du syndrome de la page blanche ou inachevée. Retour dix-huit ans en arrière… The Meadowlands, le troisième album de ce quatuor rock alternatif paru en 2003, est encensé par la critique : Mojo, NME, et surtout l’antenne planétaire Pitchforkmedia lui attribue la note de 9,5/10. Sans aucun doute, The Meadowlands voit The Wrens passer du groupe indie rock confidentiel et un peu brouillon jusqu’ici, à l’auteur d’un grand album de rock cathartique. Les deux principaux compositeurs, Charles Bissell et Greg Whelan se révèlent soudainement une certaine propension à mettre en scène la dramaturgie, faire monter la tension électrique (l’immense entrée en matière “Happy” est resté dans les annales), tout en soignant leurs mélodies (le tourbillonnant “She Send Kisses”). Le tout distillé avec une économie de moyens confondante, surtout sans céder à l’emphase. Ces fameuses prairies marécageuses du New Jersey dont il est question en couverture du disque, labourent le terrain au Funeral d’Arcade Fire, qui sortira l’année suivante et raflera la mise.
Si le succès critique est unanime, The Wrens ne parviennent pourtant pas à toucher le grand public comme le feront les flamboyants canadiens. Puis les années passent, l’aura du groupe continue de grandir. Le quatrième album se fait attendre. Attente entretenue sur les réseaux sociaux par Charles Bissell et Greg Whelan, qui assurent en 2014 que l’album est enregistré et que d’infimes détails contractuels empêchent la sortie (un deal a été secrètement signé chez Sub Pop).
Finalement, la nouvelle tombe début 2021 : Kevin Whelan, désormais âgé de 51 ans, sort enfin du plus long confinement rock des années 2000, en annonçant un nouveau groupe Aeon Station, qui implique les trois quarts de The Wrens. Soit son frère Greg Whelan (guitare), Jerry MacDonald (batterie), et la nouvelle recrue Tom Beaujour croisé auparavant chez Nada Surf (ici aux guitares, claviers). La scission entre Bissell et Whelan éclate au grand jour. On ne saurait dire qui est le fautif des deux. Difficile de ne pas regarder la pochette de l’album sans y voir une allégorie de cette aventure inachevée. Cette tour en construction qui pointe vers le ciel… La page The Wrens est terminé, une autre histoire commence. Mais, inéluctablement, Observatory est aussi le carnet personnel d’une longue crise.
Dans un entretien donné récemment au New York Times, Whelan a révélé qu’Observatory comprend cinq compositions écrites à l’origine pour The Wrens. Notamment l’émouvant “Alpine Drive”, un des premiers singles dévoilé il y a quelques mois, dont le texte introspectif jette un regard mélancolique, et malgré tout affectueux, sur ces dernières années passées à attendre, les remises en questions, et aussi sur le sens des priorités qui ont changé avec l’âge, la famille… “Someday soon we’ll find”, chante-t-il aussi sur le vibrant Everything at Once, aux paroles pleines de compassion, morceau folk-rock incandescent à la croisée de Sophia et Band of Horses.
Aeon Station privilégie souvent le crescendo électrique qu’il maîtrise magistralement. Tels le bouleversant « Leaves » qui s’ouvre sur quelques pianotis fragiles puis s’embrase progressivement ; le magistral “Queens”, ou encore ce “Better Love” où la tempête gronde, mençante ; ou encore “Air” incroyable fronde bravant le brouillard, d’une classe immense, où la voix écorchée de Whelan atteint des sommets.
Forcément plus posé par la force de l’expérience de ses membres, Observatory est un disque introspectif parsemé de compositions délicates : le solitaires Hold On, ouverture recueillis au piano, Empty Rooms et ses arpèges à la sèche), des compositions d’une grâce innée, mais sans surenchère de violons ou de cuivres. Voilà la preuve qu’on peut écrire des chansons emportées sans avoir forcément à sortir la grosse artillerie, mais en restant à sa place, en se cantonnant à quelques guitares, folk ou chargées de stridence électrique, un piano dépouillé. Bref, des compositions qui se tiennent, se suffisent à elle-même.
Et puis bien sûr cette voix de Whelan, tour à tour intimiste et déchirée, totalement habitée, se hissant à la haute d’autres gentlemen quinquas qui ont de la bouteille, comme Robin Proper-Sheppard et Greg Dulli des Afghan Whigs.
Du rock libérateur en somme, on ne saurait trouver plus juste définition pour décrire Observatory. Et cela fait grandement du bien aujourd’hui.
2021 : Sub Pop / Modulor
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Tracklisting:
1. Hold On
2. Leaves
3. Fade
4. Everything at Once
5. Move
6. Queens
7. Empty Rooms
8. Air
9. Better Love
10. Alpine Drive