Neuvième album pour les libéraux afghans de Greg Dulli , qui entretiennent la flamme avec une intensité et une endurance hors-norme.
Depuis la brutale disparition de Mark Lanegan l’année dernière une alarme s’est déclenchée en nous : il ne reste désormais que Greg Dulli, l’une des dernières grandes voix du rock alternatif US des années 90. Ce triste constat nous incite à chérir plus que jamais la parution d’un nouvel album des Afghan Whigs.
Comment tu brûles ? A cette question, qui donne son titre à ce neuvième album, les Libéraux Afghans, formés en 1986 à Cincinnati (Ohio) continuent pour leur part d’élégamment alimenter le feu. Il suffit pour cela de juger sur pièce la discographie de Sir Dulli : une première période jalonnée de classiques (Gentlemen, Black Love, 1965…). puis un disque de reformation quinze ans plus tard, Do To the Beast (2014), qui avait de la gueule. Ajoutons également quelques très belles choses lors de la parenthèse The Twilight Singers (Blackberry Belle, Powder Burns…). Une constance qui mérite le respect, en dépit des mouvements de personnel – le bassiste, John Curley, demeurant le seul membre originel avec Dulli. Sans oublier surtout le regretté guitariste Dave Rosser victime d’un cancer du colon en 2017, âgé seulement de 49 ans.
Cinq ans après In Spades (avec entre-temps l’album solo de Dulli, Random Desire, en 2020), les Afghan Whigs accouchent d’un nouveau disque inaugurant leur signature chez la major BMG, rompant ainsi leur longue histoire avec Sub Pop. Un disque à la gestation inhabituelle, amplifiée il est vrai par les conséquences de la pandémie du Covid-19. Dulli et sa bande ont ainsi découvert les joies du télétravail, chaque membre ayant enregistré leurs parties à leur propre domicile : le batteur Patrick Keeler (ex Raconteurs) basé en Californie, le bassiste John Curley à Cincinnati, le guitariste Jon Skibic dans le New Jersey, et le multi-instrumentiste Rick Nelson à la New Orleans. Étonnamment, cet éparpillement géographique ne semble pas avoir perturbé le résultat, les pièces du puzzle ayant été réunies voire agencées par le producteur Christopher Thorn et Greg Dulli. Sans renouveler la donne, l’essentiel est là : ce rock teinté de soul vaporeuse qui porte leur signature depuis plus de trente ans, des compositions solides, une production à la hauteur, à la fois moderne et électrique, et bien sûr la voix éraillée sans pareil, maturée au cigare, de Greg Dulli.
On est sonné d’emblé par la colère saturée générée par “I’ll Make You See God” premier single, et certainement le morceau le plus énervé jamais enregistré par la formation. Le chant est possédé, à la hauteur de l’urgence des guitares. La suite ralentie les ardeurs pour dérouler une ambiance plus subtile, avec Catch a Colt, une soul nocturne au rythme lancinant, baigné de cordes à la Curtis Mayfield qui n’auraient pas dépareillé sur Black Love. L’entraînant “A Line of Shots”, se fend également d’un refrain dramaturgique mémorable, tandis que le sombre gospel « Take Me Here” se distingue par son intéressante approche percussive. La chair de poule nous prend sur « Domino and Jimmy », où l’on retrouve dès les premières notes de piano la voix poignante et recueillie de Marcy Mays, l’ex meneuse des Scrawl qui hantait le cultissime My Curse, sur Gentlemen (1993).
Un autre fantôme poursuit ce disque : Mark Lanegan seconde Dulli aux choeurs sur trois morceaux “Take Me There”, “In Flames” et “Jyja”. Sur ce dernier titre, incontestablement l’un des sommets du disque, les Gutter Twins réunis, chantent à l’unisson, percent une lumière aveuglante, escorté d’arrangements vertigineux. “Brother, now we must seek the light”, chante Dulli. Impossible de ne pas buter sur ses mots, lorsque l’on connaît le destin funeste de la voix rauque des Screaming Trees. On n’aurait pas rêvé plus bel hommage.
Royal Cream/BMG
Tracklisting :
1. I’ll Make You See God
2. The Getaway
3. Catch A Colt
4. Jyja
5. Please, Baby, Please
6. A Line Of Shots
7. Domino and Jimmy
8. Take Me There
9. Concealer
10. In Flames