Quelques mélodies méticuleuses et une ambition affichée plutôt menée à bon terme, les trop cachés coudes de Manchester accumulent les bonnes vibrations. Des outsiders de luxe…


C’est un peu rude à dire comme ça, mais Elbow n’est le groupe préféré de personne. Malgré un capital sympathie non négligeable, (pour les avoir rencontrés une fois, on vous assure qu’il n’y a pas plus dénué d’ego que ce doux nounours de Guy Garvey), un succès honorable, de bonnes compositions (plutôt ambitieuses même) et un son qui scotche, chez Elbow le génie n’est simplement pas du voyage. Au mieux, on jette un oeil sur le planning de sortie des albums en se fendant d’un « Tiens ! un nouveau Elbow…» et puis on réalise que le linge de la machine à laver n’a pas été étendu et que c’est Loulou qui est de corvée… Dans le pire des cas, si le nom de Sparklehorse apparaît juste au-dessus de la liste, on est quasiment sûr que les pauvres Elbow passeront complètement inaperçus.

Pourtant, lorsque ce groupe de Manchester est apparu en 2001 avec son premier album Asleep in Back, les choses semblaient bien parties pour eux en Angleterre : Radiohead s’enfonçe dans un autisme mélodique, et le pays, sans tête de proue, cherche désespérément un nouveau prétendant au trône d’un rock flamboyant et compliqué. Malheureusement au même moment, le groupe d’un certain Chris Martin tirait son Parachute, eclipsant toute ambition populaire à d’autres (Doves, Athlete…) avec le succès spectaculaire que l’on connaît. Elbow est considéré depuis comme un doux compromis entre les deux monstres britanniques.

Excellent groupe de scène (ils tournent déjà depuis 14 ans) le chanteur Guy Garvey et ses comparses nous reviennent donc sans strass ni paillettes médiatiques après l’honnête Cast Of Thousands en 2003 et c’est un peu injuste car, ô surprise, ce troisième opus est leur meilleur album à ce jour. Elaboré à la maison, aux Blueprint Studio de Manchester, Leaders Of The Free World voit les Mancuniens se passer des services du producteur historique Ben Hillier (parti relifter Depeche Mode) pour investir seul la console de mixage. Histoire de déblayer le terrain le groupe a accumulé des tonnes de bandes durant la tournée précédente.

Jusqu’ici, la musique d’Elbow, à la limite du genre « progressif », était sauvée par la production impeccable de Ben Hillier. Un peu à la manière d’un Godrich avec Travis, le groupe a peut-être voulu se détacher de cette étiquette de dépendance. Et ils s’en tirent très bien. La production est encore plus impressionnante et épique que sur les deux disques précédents.

Taxés depuis dès leur premier album de sonner comme Genesis (la voix de Garvey rappelle Peter Gabriel), Elbow donnera encore du grain à moudre à ses détracteurs. Cette fois – ironie de l’évolution artistique – on pense surtout aux albums solo du patron du label Real World, notamment pour l’usage prononcé de percussions, avec un son assez décoiffant : dès le premier refrain de “Station Approach”, on a l’impression qu’un train nous passe dessus tellement ça martèle.

Sur deux ou trois morceaux, Elbow est capable de se surpasser. Malgré un lyrisme un peu gênant sur la fin, “Forget Myself” est un solide single. C’est aussi le cas du très efficace “Leaders of The free World” qui réactive la puissance épique d’un “Fallen Angel” (sur Cast Of Thousands). Dans un élan boyscout, Garvey essaie de réveiller un peu les esprits du danger de la famille Bush avec des paroles – avouons-le – plutôt bien tournées « Passing the gun from father to feckless son, We’re climbing a landslide where only the good die young”. Pour le reste, quelques jolies ballades tempèrent le disque, sans trop non plus marquer les esprits, malgré un effort évident porté aux compositions. Agréablement inoffensif donc.

Malgré quelques lourdeurs, le dernier Elbow réserve quelques fulgurences et se révèle plus intéressant que d’autres super productions considérées en première division (Mercury Rev, Grandaddy). On osera même s’avancer en clamant que Leaders of the Free World possède plus de qualités que les deux dernières livraisons pantouflardes de Jason Lytle. Injuste ?

-Le site d’Elbow
-Lire notre entretien Elbow, un ange tombé du ciel (septembre 2003)

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