Belle surprise madrilène que ce disque de songwriting lo-fi sec et poignant qui regarde avec dévotion de l’autre côté de l’Atlantique, sans perdre son âme ni ses racines.
Comme le McDo et les séries TV déjantées, le songwriting lo-fi, autre avatar de la culture américaine, s’exporte très bien en Europe. On ne compte plus les vocations suscitées par les patriarches Will Oldham, Lou Barlow et Bill Calahan dans nos contrées. La greffe a particulièrement bien pris dans les pays scandinaves à en juger par leurs plus dignes représentants : José Gonzalez, Nicolai Dunger et Thomas Dybdahl, que la récente compilation Cowboys in Scandinavia rassemble de manière un peu artificielle. Il en va de même pour l’Espagne, pays de la tauromachie et du Flamenco qui peut tout autant se prévaloir d’une scène rock qui n’a rien à envier à ses cousins du nord. Dans le sillage de Migala et de Mus, il faut maintenant compter sur Pepo Marquez, jeune songwriter madrilène abreuvé de mixtures hard/emocore depuis l’adolescence et qui a su en tirer une substantifique (prolifique ?) moelle pour composer des chansons dépouillées filant la chair de poule.
Ce talent-là, déjà confirmé par trois Eps et des premières parties prestigieuses pour Song: Ohia, Destroyer, Xiu Xiu, Mark Eitzel, ne pouvait pas passer à côté du label indépendant Acuarela, sorte d’auberge espagnole ouverte à tous les courants d’inspiration. Avec son titre à rallonge désarmant, ce premier album solitaire ravira tous ceux qui croient en la force poignante d’une mélodie défendue par une voix et une guitare. The Secret Society excelle dans la ballade acoustique introspective. Mais il sait aussi aligner des blues urbains dignes d’un insomniaque et les marrier à un rock lo-fi plus rageur. Autant de raisons donc de s’enthousiasmer pour ce journal intime qui renvoie à une vision désenchantée des rapports humains. Le couple, principal objet de litige, est ici passé au microscope puis à la moulinette. En déclarant d’entrée de jeu « Fuck romantic boy, fuck all modern couples », Pepo Marquez affiche son programme et dresse un portrait sans concession de lui-même, pour autant jamais pleurnichard.
Puisque l’allégorie du disque semble être le couple, il n’est donc pas étonnant que la plupart des chansons fonctionnent par paires. Ballades tire-larmes tout en émotion sourde, « Movings Units » et « Night Makes Things Look Bigger » inaugurent l’album de façon magistrale et imposent d’emblée une écriture qui ne va jamais baisser ni en qualité, ni en intensité. Puis c’est le grand décollage avec densification du son et accélération du tempo (“Figth Fire With Fire”, “Man Vs Machine”, “Sad Boys Dance”). Plus loin, « Passenger » et « My Relationship with Above » déversent des riffs acoustiques saccadés comme un grand défouloir face à trop de tension contenue. Plus apaisées, « City Lights I » et sa version instrumentale « City Light II » regardent dans la direction de « Doctor came at Down » au point que le mimétisme est parfois troublant. Seule la ballade finale « Old Wooden Creaking Floor », confession près du micro, n’ajoute rien de nouveau.
Aidé d’un batteur et d’une choriste à la voix frêle, Pepo Marquez joue les hommes-orchestre (guitare, piano, violon, orgue, programmations) avec un talent qui laisse songeur. Loin de jouer les singes savants, l’hombre ne renie rien de ses racines en signant deux jolies ballades dans sa langue maternelle : « De Costa a Costa », longue dérive électrique accablée par la chaleur et, plus loin, comme un hommage révérencieux, un poème de Garcia Lorca, aux accents déchirants de flamenco hybride. C’est le moment choisi pour réunir symboliquement l’homme et la femme dans une complainte déchirante.
Traversé de part en part par la mélancolie des premiers disques de Smog et par la rugosité du Lou Barlow (circa “Soul & Fire”), The Secret Society impose l’élégance racée de ses mélodies et de ses textes doux-amers. C’est toujours une joie sincère d’assister à la naissance d’une fine plume. On attend maintenant son envol.
-Le site du label Acuarela