Les quais de la BNF sont baptisés autrement ce soir : Okkervil River, l’une des plus singulières formations de rock americana, est venu faire chavirer les coeurs des spectateurs sur la scène flottante du Batofar. On pensait rencontrer des rednecks barbus et autodestructeurs sortis du fin fond du Texas, ce sont au contraire des jeunes-hommes à l’allure d’étudiants plutôt timides et consciencieux qui nous reçoivent.
L’un de ses piliers, Jonathan Meiburg, pianiste du groupe et éminent leader de Shearwater (auquel Will Sheff contribue également) s’est improvisé porte-parole des deux formations, dont l’actualité est décidément très riche en ce moment avec la sortie de son nouveau disque Palo Santo ainsi que la réédition chez EMI de Black Sheep Boy. De ce fait, le fil de la discussion pourrait se révéler un peu ardu à suivre pour les non initiés, mais toujours passionnante.
Pinkushion : Quel est ton degré d’implication dans Okkervil River ?
Jonathan Meiburg : Dans Okkervil River, je joue du piano et de l’accordéon. Je suis dans le groupe depuis un bon moment, Will me pose souvent des questions du genre « Est-ce que tu aimes cette chanson ci ou celle là ? », mais je ne compose pas pour Okkervil. Je travaille juste sur les disques et joue sur scène.
En fait, je voulais savoir si tu étais toujours autant impliqué dans Okkervil River depuis Winged Life avec ton groupe parallèle, Shearwater…
Avec Okkervil River, les choses sont pratiquement les mêmes depuis le début, on a toujours fonctionné comme ça. Shearwater est simplement une chose séparée que je fais aussi avec Will. C’est juste une forme différente de projet pour nous. Mais de toute façon, je ne ressens pas l’envie de quitter Will pour quelque projet que ce soit.
Comment fonctionne Okkervil River ? Y a-t-il une sorte de noyau de groupe auquel viennent se greffer divers intervenants ?
Actuellement, la formation est stable. Mais pendant longtemps, c’était particulièrement compliqué. Nous aurions aimé avoir plus de musiciens, essayer de les garder pour pouvoir tourner, ce qui est une chose très dure à réaliser. Mais tu comprends, quand tu ne gagnes pas beaucoup d’argent et que tu as un travail, une famille… Le groupe qui joue ce soir sur scène est là depuis plus d’un an. C’est vraiment un bon line up, nous sommes très proches, j’aime beaucoup cette formation.
J’ai appris que Will Sheff a déménagé, il ne vit plus à Austin.
Oui, a vrai dire il n’a pas gardé son appartement d’Austin lorsque nous sommes revenus de tournée à travers le pays. Will est ensuite parti en voyage pour voyager à travers le pays, rencontrer des amis, il est resté un moment à New York. Depuis, il est revenu plusieurs fois à Austin pour donner quelques concerts. En fait, je ne l’avais jamais autant vu que depuis qu’il est parti. Mais je pense qu’il reviendra à Austin tôt ou tard… Ce n’était pas très coûteux pour lui que de partir faire quelques concerts solo. Cela aurait été moins brillant de plutôt rester à Austin et travailler dans un vidéo club ou rester dans son appartement. Pourquoi pas, non ?
Combien êtes-vous actuellement ?
Nous sommes six musiciens.
Vous allez arriver à tenir sur la scène du Batofar ? (rires)
Crois-moi, on a déjà joué sur des scènes bien plus petites ! (rires)
Est-ce que le son change sur scène ?
Je le pense, oui. Nous devenons de plus en plus confiants, et sur bien des points c’est plus puissant que par le passé. Je ne dis pas que nous étions plus calmes auparavant, mais avec six personnes, tu peux obtenir un son énorme.
Personnellement, j’ai l’impression que Winged Life semble avoir eu une répercussion sur les structures des chansons de Black Sheep Boy, en terme de cohérence.
C’est intéressant. Tu sais, ce sont toujours les mêmes personnes qui travaillent ensemble sur ces disques. Je pense que nous progressons tous au même niveau en général. De mon point de vue, je pense que Winged Life est un disque très différent de Black Sheep Boy. Chaque fois que nous faisons un album nous apprenons de nouvelles choses et nous les répercutons sur les disques suivants. En général, le son d’Okkervil River est de plus en plus sophistiqué, les chansons deviennent plus complexes et individuelles. Will écrit des chansons qui définissent de plus en plus son propre style. C’est très excitant pour moi.
J’aimerais qu’on parle un peu de Shearwater maintenant. Peux-tu me parler de la nouvelle direction entreprise sur Palo Santo ?
Nous avons commencé à enregistrer quelques démos en vue de l’album. J’étais alors dans les îles Galapagos dans le cadre de mes études géographiques. J’avais apporté une guitare avec moi. Palo Santo est le nom d’une espèce d’arbre qui vit là-bas. C’est un arbre aux couleurs grises dont émane une très belle odeur, très fantasmagorique. J’écoutais beaucoup aussi à ce moment là les disques de Nico, ceux écrit avec John Cale, The Marble Index… et puis aussi Talk Talk.
Est-ce que tu connais le groupe Blue Nile ? c’est un groupe de la même période que talk Talk. Ta voix me rappelle beaucoup le chanteur…
Je ne connais pas, mais je vais essayer de le dénicher. Je pense que Sheawater est bien plus abstrait qu’Okkervil. Okkervil est en quelque sorte plus linéaire, il y a toujours différentes histoires dans ces chansons qui se rejoignent. Shearwater est peu plus concentré sur le son et les textures. C’est pour ça que nous sommes deux groupes différents, sinon ce ne serait pas nécessaire. (rires)
En parlant d’abstrait, Palo Santo semble effectivement moins influencé par la pop musique que son prédécesseur.
Oui. Nous voulions vraiment faire un disque organique, avec son propre monde. La première chanson du disque, “La dame et la licorne», nous introduit vers l’univers du disque, les règles qu’il habite : c’est très calme et à la fois fort, avec des sons étranges…
Est-ce que « Palo Santo » est la première chanson composée pour l’album? A-t-elle déterminée l’ensemble du disque ?
Je ne sais plus très bien mais il me semble que cette chanson était parmi les premières que j’ai écrites pour le disque. Parfois tu composes un ensemble de chansons différentes qui fonctionnent ensemble, et parfois tu ne sais pas comment les assembler et tu t’arranges pour les intégrer dans ce que tu fais. Ce fut un disque spécial dans son élaboration et un excellent souvenir.
Est-ce que c’est facile pour toi de composer ?
Non ! Pas pour moi en tout cas. Je pense que ça vient plus facilement pour Will. C’est un processus très, très lent en ce qui me concerne. Il y a certains aspects qui sont certainement plus faciles que d’autres, c’est du vrai travail. Parfois, c’est même pas marrant du tout. Mais lorsque tu écris une chanson et que tu trouves quelque chose que tu aimes vraiment, une combinaison d’accords ou de mots, c’est vraiment excitant. C’est quand même plus fun d’enregistrer ou de jouer sur scène.
Donc, si je te demande demain d’aller en studio et enregistrer un disque illico, ça ne sera pas envisageable. (rires)
Ce ne serait pas une bonne idée. (rires) Peut-être que ça pourrait aboutir à quelque chose, je ne suis pas sûr. Il y a un lot de nouvelles chansons sur lesquelles je travaille en ce moment, mais elles ne sont pas terminées.
Est-ce que la musique est un emploi plein temps pour toi ?
Si l’on compte le nombre d’heures consacrées, ce pourrait être en effet un « full-time job » ! J’ai un autre travail lorsque je suis chez moi au Texas. Je viens juste de terminer mon Master Degree en géographie, j’étais encore étudiant la semaine dernière.
Félicitations !
Merci. Je ne sais pas trop quoi faire maintenant que mes études sont terminées. Le futur me paraissait tellement loin avant…
Tu penses que tu pourrais continuer ainsi : faire de la musique et avoir un travail ?
Disons que si nous gagnons assez d’argent en faisant de la musique, cela pourrait devenir un vrai job. Cela pourrait arriver.. La situation actuelle est très agréable : on enregistre des disques, on part en tournée… on se sent vraiment chanceux. Dieu seul sait si cela durera pour toujours, ou même jusqu’à demain ! (rires)
Tu te sens tout de même chanceux avec six musiciens coincés dans un van ? (rires)
Well… c’est vrai. Ça peut devenir dur.
Bien. J’aurai aimé qu’on se penche sur certains aspects d’Okkervil River, mais je pense que Will est en fait plus à même d’en parler. Mais vu son absence…
Ne te gène surtout pas avec moi. Tu sais, j’ai vécu dans le même van avec Will durant plusieurs années, donc je peux probablement répondre à ces questions. (rires)
Allons-y donc. « Black Sheep Boy » est un album inspiré d’une chanson de Tim Hardin et en particulier du caractère un peu pathétique du personnage : son addiction à la drogue mêlée à sa fin tragique.
Oui, l’album est directement tiré de la vie personnelle de Tim Hardin. Est-ce que tu as lu l’essai de Will consacré à Tim Hardin ? C’est très très bon, tu peux le trouver sur le blog Said the Gramophone. Will était intéressé par l’histoire, mais il aimait beaucoup la chanson “Black Sheep Boy” au départ. La chanson est en partie autobiographique, Tim Hardin l’a écrite parce qu’il était incompris par sa famille. Hardin a fait des choses qui étaient terribles pour sa vie, mais il a malgré tout continué à les faire. Il savait qu’il allait en payer le prix pour ça. Le disque évoque aussi d’autres associations par rapport au personnage, notamment, le sens de l’isolement, ce détachement que tu peux ressentir vis-à-vis des personnes qui sont proches de toi. Ces images sont symbolisées par des monstres et des forces étranges que tu peux voir sur les pochettes des albums.
Est-ce que le Appendix Ep a été élaboré durant les même sessions que Black Sheep Boy ?
Oui, excepté pour quelques petits détails que nous avons terminé plus tard… Toutes les chansons appartiennent à la même période et à la même idée, nous voulions au départ les sortir ensemble. C’est pour cela que nous sommes très heureux que le disque ressorte réunissant un 2 disc set, l’histoire est complète ainsi. Tu sais, le dernier mot de la chanson “Last Love Song For Now” dit : « It’s Over». Maintenant, nous devons partir sur autre chose.
Personnellement, je trouve l’Appendix EP plus cohérent que l’album.
C’est peut-être vrai. Avec, Black Sheep Boy nous voulions faire quelque chose de sombre et effrayant. Au final, le disque est peut-être un peu plus lumineux que nous le souhaitions. Le Appendix est probablement plus noir.
Peut-être que cette impression est dûe à la longueur de l’album…
Oui, le Ep est plus compact. Il y a aussi ces petits interludes instrumentaux qui relient les chansons entre elles, je les aime beaucoup. L’un d’entre eux a été composé par Brian Cassidy, le gars qui joue de la Pedal Steel. J’aime particulièrement celui-ci.
Peux-tu me parler des détails sur votre récente signature avec EMI en Europe ?
Et bien, c’est assez subtil. Moi-même je ne comprends pas très bien les détails du deal de distribution (rires). Ils distribuent seulement notre album, cela ne veut pas dire que nous avons signé un gros contrat en Europe avec eux. Certaines personnes pensent que nous sommes devenus des rocks stars de Major… pas vraiment à vrai dire. Mais nous sommes très heureux de ce nouveau deal et que davantage de personnes puissent se procurer ce disque.
Est-ce qu’on peut considérer Okkervil River comme une grande famille réunissant plusieurs musiciens et Shearwater comme une autre partie de la famille ?
Bien sûr. Nous avons les même gens qui travaillent sur ces deux projets. Il faut cependant retenir une chose importante : Shearwater, n’est pas un side project, mais un groupe à part entière.
Justement, je n’irai pas jusqu’à dire que les disques d’Okkervil River soient une grosse fiesta, mais on voit toujours sur les notes de crédits une douzaine de musiciens. Comment cela fonctionne ?
Ha ha ha ! La moitié de ces personnes sont là tout le temps. Dans un premier temps, il y a une partie solide du groupe qui enregistre les pistes essentielles. Pour les cordes, nous avons bouclé en une journée. Un autre jour, on a demandé à nos amis de venir pour enregistrer des clappements de mains… ce genre de choses. Bien sûr, ça s’est terminé avec 35 personnes sur les crédits du disque.
Enfin, est-ce que tu as d’autres groupes en dehors ?
Non, les deux m’occupent déjà assez comme ça (rires).
Peux-tu me donner tes cinq albums favoris ?
C’est dur à dire, les goûts changent régulièrement, mais je dirais probablement ceci en ce moment :
Music of Madagascar, Classic recordings of the 1930s, c’est extrêmement beau. J’écoute aussi beaucoup de musique éthiopienne
Nico – The Marble Index
Big Star – Third/Sister Lovers
Baby Dee, (Durtro Records)
Talk Talk – Laughing Stock
Lou Reed – Berlin
– Lire la chronique de Palo Santo.
– Lire la chronique de Black Sheep Boy Appendix .