Alors que The Black Heart Procession sort le tant attendu successeur d’Amore Del Tropico, Paulo Zappoli, son chanteur, joue les justiciers avec un projet éminemment ludique à cent lieues de la noirceur à laquelle nous a habitué son groupe principal.


La première fois que j’ai vu The Black Heart Procession sur scène, j’ai été surpris par l’allure du groupe. Grimés, ses membres pourraient gagner l’Eurovision et renvoyer Lordi au purgatoire. Heureusement pour eux, la comparaison s’arrête là, la musique de BHP n’a rien à voir avec le metal de supermarché pratiqué par les Finlandais et leurs chances de s’imposer à cette farce sont minces. De toutes façons, étant originaires de San Diego, les membres The Black Heart Procession sont exclus d’office (le lecteur averti se plaira peut-être à me rappeler qu’il y a bien eu une Canadienne qui a représenté la Suisse).

Auteur d’une musique n’inspirant pas franchement la joie de vivre, BHP s’est vu souvent associé au mot « dépressif ». Les trois premiers albums du groupe, simplement intitulé one, two et three, jouaient sur la lenteur et produisaient une musique comateuse et fantomatique. La voix grinçante et plaintive du chanteur incarnait au mieux le désespoir. Si le ton pouvait les rattacher au mouvement gothique, l’instrumentation principalement acoustique faisant la part belle au piano pleureur, accordéon et autre scie musicale, permirent au groupe d’échapper à cette étiquette lourde à porter et d’être rangé dans les bacs labelisés post-rock. Avec Amore Del Tropico, l’album suivant, BHP sortait de sa torpeur et remplaçait sa froideur initiale par une moiteur évoquant celle d’un tripot enfumé. Ce gain d’intensité s’expliquait par l’apport considérable du batteur de Modest Mouse et du violoniste de The Album Leaf, fraîchement arrivé. La musique se permettait alors de glisser sur des rythmiques plus endiablées et de lorgner vers des influences plus latines. Album vénéneux et mélancolique à souhait, Amore Del Tropico est sans conteste le meilleur album du groupe à ce jour.

Presque 4 ans plus tard, nos fossoyeurs préférés reviennent avec The Spell. Visiblement, ils ne carburent toujours pas aux antidépresseurs et ne sont toujours pas libérés de ce lourd chagrin qui les caractérise si bien. Dès le premier morceau, The Spell donne l’impression que BHP a tenté d’honorer l’étiquette post-rock qui lui était collée. Introduit au piano, « Tangled » marque par ce son de violon hanté et ce léger riff de guitare incisif que l’on a déjà entendus chez Godspeed You! Black Emperor. Cependant, BHP a le bon goût d’éviter la sempiternelle envolée rageuse où les guitares crient et les rythmiques se font martiales. Si The Spell joue sur la tension, il n’explose jamais. Même sur ce tranchant « The replacement » à l’électricité aérienne, le groupe évite soigneusement de s’énerver. Ce défilé de morceaux plus rock est entrecoupé par des ballades caverneuses que l’on imaginerait volontiers chantées par Nick Cave tant « The Letter » et « To Bring you back » auraient pu figurer dans le répertoire des Bad Seeds. Outre ce petit clin d’oeil australien, isolons également « Return to burn » et « Waiter #5 » sur lequel BHP retrouve ce goût pour les hymnes malades et fantomatiques inspirés par le poids d’un mauvais sort qu’on lui aurait jeté.

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Ce mauvais sort, Paul Zappoli, le chanteur, semble chercher à le conjurer en sortant de l’anonymat Freddie Dillinger alias Mr. Tube qui, malgré ses déjà 30 ans de carrière, n’avait jamais sorti le moindre album. C’est désormais chose faite. En compagnie de Paul Zappoli, Mr. Tube associé à ses Flying Objects réarrange et enregistre une série de chansons composées entre 1968 et 1978. Il en résulte ce Listen Up!, un album au groove ravageur assez anecdotique, mais tellement frivole qu’on se laisse prendre au jeu sans rechigner. Les cuivres se frottent à des riffs de guitares improvisés sur des rythmes propices au déhanchement. La voix de Paul Zappoli prend des airs latins et est contrebalancée par celle plus chaude et mécanique de Jovi Butz, objet volant non identifié qui boit uniquement de la bière mexicaine. Malgré une nette orientation vers le jazz mâtiné de funk, Listen Up! se permet des incursions vers l’electro. « The Sell » et son Vocoder se donnent même des intonations très années 80 couplées à un air ressemblant à un tube des défunts 2 Unlimited. On n’est jamais loin de l’ovni, mais un bien bel ovni.