De passage à Paris pour promouvoir l’album Sha Sha, Ben Kweller nous avait accordé un entretien où on découvrait une personnalité attachante, à la fois disponible et timide, et grand fan de musique. Ce jeune homme agé de tout juste 22 ans nous parle de son ancien groupe Radish, sa façon de composer, sa vision de la musique, ses influences. Un de ses entretiens où l’on ressort vidé mais heureux d’avoir rencontré un chic type.
Pinkushion: En grandissant dans une famille où la musique était présente, ta relation à celle-ci s’est faite au travers de tes parents, ou as-tu eu une approche personnelle?
Ben Kweller: Mon premier contact avec la musique s’est fait d’abord par la batterie. Mon père était batteur, ce qui fait qu’à la maison j’avais tout un jeu de tambours et percussions à ma disposition. J’avais sept ans et je me souviens que dans la salle à manger mon père m’asseyait sur le tabouret et m’apprenait à jouer de la batterie. Puis, plus tard je me suis mis au piano.
Pendant toute mon enfance, mes parents écoutaient beaucoup les Beatles et bien sûr ils sont devenus ma première grande influence. J’écoutais en boucle « All you need is love » et c’est cette chanson qui m’a donné envie d’écrire mes compositions. Je jouais donc de la batterie puis m’asseyais au piano et essayais de reproduire quelques notes et j’en faisais ma propre version, mes propres chansons à propos de garçons et de filles car c’est ce que chantaient les Beatles.
J’ai aussi appris la chanson « Heart & Soul », un be-bop des années 20 (Ndlr : Ben Kweller se met à fredonner la mélodie de cette chanson). Tous les gosses aux Etats Unis connaissent cette chanson, même si tu ne connais pas la musique, tu sais jouer « Heart & Soul ».
Voilà comment j’ai appris la musique, en jouant différents motifs, en changeant les accords de ces chansons.
Ma soeur aînée a fait le reste de mon apprentissage musical en m’initiant à la musique des Violent Femmes, de Led Zeppelin ; puis j’ai découvert Nirvana à l’âge de treize ans, l’âge parfait pour découvrir ce groupe. Puis j’ai eu ma première guitare électrique.
Tu sais quand tu grandis dans une petite ville du Texas et que tu n’as que MTV et Rolling Stones Magazine pour aimer la musiqueÂ… Nirvana m’a beaucoup parlé, ils faisaient référence au Velvet Underground, à Sonic Youth, aux Melvins, Mudhoney, et bien sûr on portait des tee-shirts à l’effigie de ces artistes.
Pinkushion: Qu’est ce qui t’a poussé à passer d’un style punk rock que tu faisais avec ton groupe Radish à une sorte d’anti-folk?
Ben: Avec les années, mes goûts changent. J’aime toujours autant jouer du punk rock. Dans mes albums, il y a toujours une ou deux chansons qui sonnent rock. Mais Bob Dylan, Neil YoungMotown me touchent beaucoup, tous les descendants des Sex Pistols avec qui j’ai grandi.
Pinkushion: Quand as-tu envisagé de démarrer une carrière solo?
Ben: J’ai passé cinq ans avec Radish, en pleine période adolescente, et puis entre 14 et 19 ans tu changes énormément, et j’étais prêt à quitter le Texas, ma maison, ma famille. Et lorsque je me suis retrouvé à New York, je n’avais pas de groupe, simplement quelques chansons composées à la guitare ; puis j’ai rencontré les Moldy Peaches, Adam Green, les Strokes commençaient juste, il y avait quelque chose de bouillonnant dans la scène new-yorkaise. J’avais un album de prêt dans mon ordinateur, alors j’ai réalisé que je pouvais le faire par moi-même, j’ai donc décidé d’entamer une carrière solo.
Pinkushion: New York ne pouvait qu’être ton seul point de chute?
Ben: J’ai toujours été attiré par New York. Je voulais vivre dans une grosse ville où il y a beaucoup d’énergie. Et puis j’ai rencontré ma petite amie et nous avons décidé de vivre ensemble à New York.
Pinkushion: Sha Sha est très éclectique. Te reconnais-tu dans un genre musical particulier, ou as-tu l’impression de faire partie d’une famille de songwriter?
Ben: J’aime aussi bien la country music que le punk, le rock plus classique ; aussi il est difficile de m’associer à un genre musical. J’ai l’habitude de dire aux gens que je joue une sorte de pot pourri musical, à la fois mélodique et cacophonique entre ballade au piano et punk rock.
Pinkushion: Utilises-tu des boucles ou autres effets électroniques?
Ben: Non pas du tout. La diversité vient de mes chansons, tout commence à la guitare et au piano, puis des textes, de la mélodie et du style de musique que je veux créer. Mais c’est toujours les quatre mêmes instruments. L’éclectisme est aussi lié à la façon de jouer des musiciens, de ressentir les chansons. Il m’est très important d’avoir le même son de guitare mais de jouer chaque composition différemment pour avoir des ambiances distinctes. C’est plus facile d’appuyer sur le bouton d’une machine pour avoir l’effet que tu souhaites mais c’est plus amusant et enrichissant de le faire avec tes mains.
Pinkushion: Où puises-tu ton inspiration?
Ben: Dans la vie de tous les jours, des expériences, des mauvais jours passés en pensant que demain sera meilleur. Je suis quelqu’un d’optimiste et je crois qu’au bout du tunnel il y a toujours une sortie. C’est le message que je veux donner dans mes chansons, de l’espoir.
Pinkushion: Comment as-tu fait pour maintenir une certaine cohésion entre les chansons de Sha Sha?
Ben: J’écris des chansons en fonction de l’humeur du moment et je les assemble toutes. Avant d’enregistrer une chanson, je sais exactement quel son je veux obtenir, comment je vais la chanter. Sur celle-là, il y aura des cordes, sur l’autre une distorsion. Je m’applique à avoir tout prêt avant d’enregistrer. C’est pour cette raison que je m’entoure de bons ingénieurs pour avoir le meilleur son, comme l’a fait Stephen Harris pour Sha Sha.
Pour mon prochain album, je vais travailler avec Ethan Johns qui est le fils de Glyn Johns (Let it be, Led Zeppelin, Rolling Stones, Kinks…). Son fils est un bon producteur, un bon ingénieur du son, il a produit aussi Kings of Leon, un de mes groupes favoris, et d’autres comme les Jayhawks, Ryan Adams.
Pinkushion: Tu n’as que vingt deux ans et déjà tu as un passé musical salué par la presse en général. N’as-tu pas peur d’être vu comme quelqu’un de prétentieux?
Ben: Lorsque j’avais seize ans, j’avais peur d’être perçu comme prétentieux, et puis en vieillissant j’ai réalisé que je devais être moi-même. J’ai une vie simple, je suis aussi un grand fan de musique, donc les critiques m’affectent peu car je ne pense pas avoir changé de comportement depuis mes débuts. Ça m’a inquiété lorsque j’étais plus jeune et puis vingt deux ans est le bon âge pour le rock’n roll!
Quand les Beatles sont venus aux Etats Unis, George Harrison n’avait que dix-neuf ans.
Pinkushion: Est-ce que tes influences ressortent au moment d’enregistrer?
Ben: Tout à fait. En studio, des fois je me dis je veux le son de piano qu’avait David Bowie sur Honky Dory; de cette façon le producteur comprends ce que j’ai dans la tête. Car si je dis je veux sonner clair et vif, le producteur va te regarder sans comprendre, donc tu dois parler avec des références. Tant que les textes, et tes intentions sont originales, c’est ok car tu sais, tous les disques des sixties sonnent de la même façon, ce sont les chansons chantées différemment qui font la différence.
Même si j’utilise des techniques classiques, mes chansons sont contemporaines. Un groupe comme les White Stripes qui sonne comme un blues des années cinquante est assurément de notre époque. Adam Green, qui est ma grande influence, sonne comme les premiers Leonard Cohen, ou du Lou Reed. Les textes sont le plus important car ils font référence à ce qui se passe dans le monde à un moment précis, et les miens parlent d’aujourd’hui.
Pinkushion: Ta musique semble ignorer les frontières musicales, est-ce que ta vie est aussi partagée par des centres d’intérêts opposés?
Ben: J’aime aussi bien jouer sur ordinateur qu’en plein air, faire du camping, de la pêche, lire.
Pinkushion: Mais pourtant tu vis à Brooklyn?
Ben: Oui, je sais mais je voyage beaucoup. Il m’arrive de faire deux heures de route pour rejoindre les montagnes, ou un lac. J’essaie le plus possible de m’évader vers la campagne, comme quand je vais visiter mes parents au Texas. Je me sens bien en ville mais j’ai besoin de la nature pour me ressourcer.
Pinkushion: C’est ce que tu as voulu montrer dans le clip vidéo de « Commerce, Tx »?
Ben: En pleine période scolaire, je quitte l’école, je me retrouve derrière un terrain de base-ball à fumer en cachette. Le clip montre un mauvais garçon qui sèche les cours, qui fume et à un moment toute une équipe arrive par derrière et m’entoure. C’est comme une rébellion. L’idée du clip vient d’un album de reprises de Syd Barrett.
Pinkushion: Peut-on te comparer à ce gamin?
Ben: Lorsque j’étais adolescent, j’étais tellement naïf que je n’aurais pas pensé que l’industrie musicale était aussi malveillante que ce qu’elle est. Maintenant, je suis plus averti de ce qui se passe autour de moi, je sais comment éviter les pièges.
Pinkushion: Tu sembles assez critique sur le music business?
Ben: Les maisons de disques ne donnent pas aux groupes la possibilité de se développer et grossir. Si tu n’as pas un hit sur un album, on te jette aussitôt. Dans les années soixante dix, avec un seul hit, tu pouvais faire des tonnes d’albums. Black Sabbath ou Led Zeppelin à leurs débuts n’avaient pas de tubes. Du jour au lendemain, on nous impose d’avoir un hit. Je crois qu’il y a beaucoup de personnes dans les maisons de disques qui ne connaissent rien à la musique. Je suis chanceux car j’ai un label fantastique que ce soit aux Etats Unis ou en France. Dans les sixties, le business se faisait par des gens qui connaissaient la musique. Aujourd’hui, tout le monde veut d’un seul coup la rançon de la gloire.
Pinkushion: Sur la chanson « How it should be (sha sha) », tu chantes : Foutez-moi la paix quand je regarde Planet of the apes à la télé. Quel sens peut-on donner à ces paroles?
Ben: Le sens est autour de la culture des jeux vidéos. Quand je suis devant la télévision, ne me dérangez pas. Je ne trouve souvent le sens de mes paroles qu’une fois qu’elles sont écrites.
Pinkushion: Si tu devais faire un album de reprises, à qui songerais-tu?
Ben: Je reprenderais « Black crow blues » de Bob Dylan qui est sur l’album another side of Bob Dylan
(Ndlr : il se met alors à chanter cette chanson). « Androgynous mind » de Sonic Youth peut-être dans une version folk, « Rodeo » de Garth Brooks en version heavy metal…
En concert, on reprend « Headache » de Frank Black.
Pinkushion: Avec qui aimerais-tu travailler?
Ben: Neil Young ou Lou Reed.
Pinkushion: En tant qu’artiste, te sens-tu impliqué dans un contexte politique?
Ben: Je ne connais pas assez les questions politiques pour m’impliquer ou imposer mon point de vue. J’ai écrit quelques chansons politiques mais je ne me vois pas en tant que leader. Aux Etats Unis, les médias ne montrent qu’une partie des choses et je me bats contre ça.
Pinkushion: Quels sont tes disques, livres et films préférés?
Ben: Bringing it all back home de Bob Dylan, Rubber soul des Beatles, Crooked rain, crooked rain de Pavement, Everybody knows this is nowhere de Neil Young, Lou Reed et le Velvet Underground, In utero de Nirvana…
Mon livre de chevet est « l’attrape-coeurs » de JR. Salinger. J’aime aussi lire des livres sur l’histoire comme celle des indiens d’Amérique.
Pour ce qui est des films, je dirais « Forest Gump » et « Memento ».
Ben Kweller, Sha Sha (RCA/BMG)
– Le site officiel de Ben Kweller