Trio instrumentale réunissant la section rythmique de Fugazi, The Messthetics offre sur son premier album un audacieux télescopage de virtuosité et de fougue post-hardcore.
La formule trio rock instrumentale a encore de beaux jours devant elle. On a pu même le vérifier dernièrement sur l’échiquier national avec le splendide coup donné par les math rockers septsortais Jean Jean, salué ici même. Outre-Atlantique sur les terres de Battles, on n’est pas en reste, avec du côté de New York le super trio Charnel Ground (Chris Brokaw, James McNew, Kid Millions). Et puis surtout la triplette basée à Washington D.C, The Messthetics, qui est au centre de toutes les attentions dans la sphère rock alternative. Pensez, la réunion du batteur Brendan Canty et le bassiste Joe Lally, soit la redoutable section rythmique des héros post-hardcore Fugazi, ne peut passer inaperçue, et fait forcément resurgir en nous quelques souvenirs fébriles.
Aussi prodigieux soit-il, ce binôme rythmique légendaire ne peut toutefois tenir ses promesses sans la présence d’un troisième larron exceptionnel officiant au poste clé de la six-cordes électrique. La perle rare s’appelle Anthony Pirog, virtuose du manche et figure de la scène de DC (le trio écume les scènes de la ville depuis 2016). Si son nom ne vous dit rien, il suffit d’éplucher un peu son CV pour comprendre que sa réputation n’est pas usurpée : ce guitariste versatile jongle depuis des années au sein de diverses formations rock (l’éphémère Skysaw, formation rock tenue avec le batteur “grosse citrouille” Jimmy Chamberlin), mais aussi jazz, blues et autres projets plus expérimentaux. Quelques albums également sous l’alias Janel and Anthony, duo avant-folk guitare/violoncelle mené avec son épouse, signés sur le label Cuneiform Records.
Ce qui au départ était un projet destiné à la scène s’est donc progressivement diffracté sur disque, avec ce premier album éponyme constitué de compositions originales. Neuf pistes instrumentales dont on ne s’étonnera pas d’apprendre qu’elles ont été enregistrées dans des conditions live et quasi sans overdubs. Il faut dire que cela joue monstrueusement, la synergie que dégage ce trio impressionne en parvenant à fondre la puissance post-hardcore à la liberté de mouvement du free jazz, donnant lieu parfois à une surprenante dichotomie de la mélodie et du rythme (« Serpent Tongue »). Ce qui n’a finalement rien d’étonnant, sachant que la bande à Ian McKaye empruntait davantage sur le plan de la dynamique aux structures complexes du jazz que des Ramones.
Le jeu d’Anthony Pirog peut tantôt être minimaliste pour soutenir la cadence nerveuse et sèche de Brendan Canty et Joe Lally, tantôt virtuose armée d’un arsenal d’effets (tapping, delay, solos distordus pyrotechniques) entraînant ces complices vers des frénésies rock aux structures complexes. A ce titre, l’implacable « Serpent Tongue », (construit au départ autour d’un riff de deux notes puis ça se complique !) et le cataclysmique “Crowds and Power” lorgnent clairement sur les terres de Fugazi et Shellac, ce qui ne déplaira à personne ici. Aussi spectaculaire soit la prouesse technique, The Messthetics veille cependant grandement à ne pas sombrer dans l’exhibition stérile, et varier les ambiances. La mélodie n’est jamais totalement perdue de vue, comme sur le nébuleux « Once Upon A Time » qui calme le jeu, ou sur les arpèges jazzy délicats de « The Inner Ocean », où se lève progressivement la tempête dans un climat carrément post rock. “The Weaver” s’offre même une splendide acoustique ornée de cordes. « Mythomania », titre d’ouverture, pourrait quant à lui évoquer un King Crimson période Discipline (avec l’usage d’un E-Bow tendance Frippertronics) en plus organique par son parti-pris brut et grinçant comme un pilier de béton.
L’osmose de ce trio pas comme les autres donne à entendre une passionnante excroissance de l’héritage musicale de Washington D.C.. On donnerait cher pour les voir sur scène.
Dischord Records – 2018
www.facebook.com/themessthetics/
themessthetics.bandcamp.com/album/the-messthetics
Tracklisting :
- Mythomania
- Serpent Tongue
- Once Upon a Time
- Quantum Path
- Your Own World
- The Inner Ocean
- Radiation Fog
- Crowds and Power
- The Weaver