Comment fusionner la douceur acoustique et la rigueur électronique, sans pour autant générer une musique factice ? Prendre exemple sur Tunng, qui, avec ce deuxième album, nous donne une leçon magistrale d’alchimie moderne.
Tunng, formation londonienne, résoud une fois de plus l’épineuse équation de la «folktronica», comme aiment à l’appeler ceux qui sont friands de classifications hybrides. A première vue, Comments Of The Inner Chorus ne dévoile pas tout de suite sa nature duplice. A l’écoute de “Hanged” qui ouvre l’album, on se retrouve enveloppé d’une myriade de sonorités mi-organiques, mi-synthétiques, comparables à une pluie mélodieuse, comme si une multitude de petites gouttes colorées déferlaient sur nos oreilles. On croît reconnaître des cordes pincées, mais reste à savoir si elles proviennent d’un banjo, d’un instrument de fortune ou d’un séquenceur élaboré. On pense à Boards of Canada, voire à Labradford, pour cet ensemble de sonorités miroitantes et – apparemment – aléatoires. Dès le deuxième titre, Tunng s’approprie avec justesse un style plus hybride. “Woodcat” ressemble à une ballade relativement traditionnelle, sous-tendue par une ligne d’arpèges acoustiques, avec couplets et refrains. On y parle des petites habitudes anodines auxquelles on prend goût («I miss your sweet kisses, I miss having coffee in bed watching tv»), pour finalement avancer «We all had a lovely time», avec dans la voix une pointe de nostalgie. Seul un break aux accents électroniques viendra interrompre la progression implaccable de cette chanson particulièrement bien ficelée, à la guitare entêtante.
Tunng se plaît à developper des compositions centrées sur des boucles répétitives, rappelant ainsi une certaine culture électronique. “The wind up bird” par exemple se construit autour d’un sample, union extra-conjugale d’une guitare acoustique et de bidouillages maîtrisés (« bips », cloches, diverses textures sonores). Un violon et des choeurs deviennent la contrepartie instrumentale de ces effets synthétiques. Car Tunng a su éviter l’éccueil qui consiste à introduire quelques artifices techniques pour donner une caution «branchouille» à des chansons sans grand intérêt par ailleurs. Tunng est ainsi passé maître dans l’art de cette alchimie électro-acoustique : les textures sonores qu’il insuffle à ses compositions s’y fondent parfaitement, tandis que les instruments (guitare, banjo) revêtent l’éclat troublant de contrefaçons synthétiques. Rien à redire sur la richesse mélodique des titres, qui convoquent une foule d’instruments : guitare, claviers, basse, accordéon sur “Jay Down”, ou choeurs chauds et tambourin sur “It’s Because We’ve Got Hair”. L’irruption de samples de voix – récurrents dans cet album – ou d’effets sonores divers agissent comme ce petit détail intelligent qui ajoute une dimension supplémentaire à la composition. Ainsi, “Stories” approfondit un peu plus le potentiel électro du groupe, via un sample de guitare agile, petite mélodie lancinante qui va provoquer le déhanchement, surtout lorsque des nappes de synthé et un beat assourdi viennent en renfort. Plus loin, “Engine Room” et ses choeurs étoffés – trois des membres du groupe accompagnent le chanteur Mike Lindsay – nous fait la surprise de l’irruption tardive d’un beat étouffé et saccadé, propageant, par la même occasion, un nuage d’infrabasses.
Chaque titre de Comments… est un peu comme une proposition de dosage personnalisé des composantes constituant cette musique protéiforme. Parfois, l’électronique mène la barque (dans “Stories”, évidemment ou dans l’épilogue instrumental «caché») ; à d’autres moments, la machine s’incline devant la prétention pop-folk des compositions. “Jenny Again” ou “Sweet William” sont des exemples d’une musique particulièrement inspirée, à mi-chemin entre le Belle and Sebastian des débuts et Badly Drawn Boy. Mais dans la plus grande majorité des titres, c’est un mariage particulièrement réussi qu’il faut saluer. Sur “Red And Green”, l’éventail de bruitages, évoquant parfois des bourdonnements d’insectes bioniques, tranche avec le phrasé mélancolique de Mark Lindsay, qui n’est pas sans rappeler le flegme d’un Tarwater. Ou sur “Man In The Box”, les longues syllabes traînantes du couplet sont timidement parasitées par un voile d’effets sonores. Autant d’apartés réussis, qui raviront les amateurs du Shrimp de The Notwist.
– Le site de Tunng
– Le site de Full Time Hobby