Ces piliers du rock américain sont toujours capables de nous botter le c… et de se permettre quelques audaces telle cette resurrection miraculeuse. Un disque qui prend l’allure d’une seconde rétrospective avant l’heure, dans le bon sens du terme.


Yo la Tengo. Une phrase « connue » nous revient (enfin, c’est un grand mot, elle est tirée d’une vieille biographie) pour synthétiser parfaitement cette formation légendaire : « Yo la Tengo nous rappelle tous les meilleurs groupes qui n’ont jamais existé (à l’exception, peut-être, des Revillos) ». Et c’est tellement vrai. Groupe de rock indépendant par excellence, le trio d’Hoboken maîtrise sur le bout des doigts (posés sur leur manche de guitare) tous les préceptes du rock. L’un de rares combos capables d’alterner avec brio ritournelles pop vintage, puis en deux temps trois mouvements revêtir un scaphandre pour sonder les failles profondes et mystérieuses du bruit blanc.

Depuis le peu brillant Summer Sun (quelle ironie !), l’inspiration du couple Ira Kaplan/Georgia Hubley et du fidèle adjoint/bassiste James Mc New semblait un peu en berne. Les fans trouvaient toujours de quoi se rassasier par les biais de productions maison vendues sur leur site Internet et quelques intrusions parallèles en terme de side band pour Chris Stamey (dB’s), mais rien de vraiment neuf à se mettre sous la dent. Un autre signe inquiétant nous avait alerté l’année dernière suite à leur première rétrospective, Prisoners of Love, qui n’augure rien de bon en général pour le futur. Yo La Tengo suivrait-il une paisible retraite, marchant sur les traces de Guided By Voices ?

Fort heureusement, cette période de flottement semble loin derrière nous. Enregistré à Nashville avec le fidèle au poste Roger Moutenot, ce nouvel opus frappe très fort, là où ça fait mal (le derrière en l’occurrence). 64 minutes d’effervescence artistique renouée, une quinzaine de titres picorant dans la quintessence du psychédélisme et de l’art rock. La mise en bouche n’est pourtant pas évidente : Construit sur un motif de basse basique et obsédant, “Pass The Hatchet” est une percée dans une fournaise de guitares en combustion frôlant les 10 minutes. “The Story of Yo La Tango” (non, il n’y a pas de faute de frappe) qui clôt le disque est plus réussi dans son contrôle crescendo des effluves de saturation spatiale.

A l’écart de ces périples dissonants, I Am Not Afraid of You and I Will Beat Your Ass est plus équitablement proportionné et navigue majoritairement dans une power pop raffinée et sensible. Il faut dire qu’ils ont pris le pli depuis leur version revisitée de l’immense “ You Tore Me Down” des Flamin’ Groovies*, une leçon de songwriting magistrale à elle seule.
Cette protubérance de mélodies léchées est à mettre au compte d’un grand nombre des titres interprétés au piano. Les titres chantés par Georgia Hubley sont particulièrement émouvants, notamment “ I Feel Like Going Home” où la comparaison vocale avec Moe Tucker est toujours aussi troublante. Retenons également “Black Flowers” d’Ira Kaplan, assistée d’ornements de cordes, et un joli écart “Instrumental” composé uniquement au piano. Quelques cuivres vintage sur “Beanbag Chair”, (trad : sachet poubelle), “Mr Tough” (soul à se damner) et “Sometimes I Don’t Get You” contribuent à apporter également du sang neuf.

En convertis du saint protocole « Garage » – qui consiste, rappelons les règles, à ne compter que sur trois paires de mains et quelques manches de cordes amplifiés – Yo la Tengo continue de semer quelques plans psyché magistraux.“The Room Got Heavy”, trip acide rythmé par des percussions en trans et « Happiness Is A Warm Gun » (Et non, ce n’est pas une cover des Beatles) contiennent dans leur mixture quelques substances que pas même un champion du tour de France n’oserait prendre.

Pour les aficionados d’accords Nuggets et arpèges milléssimés Rickenbacker, les amplis à lampe sont rangés en seconde partie du disque : le psycho “Ronnie” et “I Should Have Known Better”, dans l’esprit du The Chocolate Watchband ou l’oisif byrdsien (“Tonight”). Le constat est flagrant : Personne actuellement ne recrée aussi formidablement cette magie, pas même le Brian Jonestown Massacre.

Il est étonnant de constater combien ce trio a su préserver l’insouciance de ses 20 ans. A moins que ce ne soit le talent … Evidemment.

*sur le disque Fakebook

-Le site de Yo La Tengo