Des folk songs baroques aux accents 80’s, portées aux nues par une voix d’exception. En périlleux acrobates, les Minstrels marchent sur la corde raide tout en tirant sur notre corde sensible.
L’histoire est un éternel recommencement : un songwriter torturé qui puise dans ses blessures de coeur la matière première de son inspiration. Jeff Curtin, meneur des Minstrels, n’a pas trouvé meilleur exutoire – ou thérapie c’est selon – que son groupe pour panser ses plaies profondes sur fond de ballades folk ensorcelées.
La pochette du premier album de ce trio funèbre concentré autour donc de Jeff Curtin (chant, guitare), Lauren Bohrer (chant, accordéon, scie) et Rob Grenier (guitare électrique) présente en effet un patient recouvert de bandages de la tête au pied. Les fractures semblent multiples bien qu’en passe de rémission et pour recouvrer la santé, les remèdes prescrits vont à l’essentiel : une suite d’accords désincarnés, un chant dévasté, une caisse claire quasi absente, enfin un peu de pénombre.
Garant d’une certaine tradition de la pop alternative britannique, les Minstrels ne sont probablement pas nés à la bonne décennie et auraient probablement été plus dans leur élément en 1986 à l’époque glorieuse des Smiths, Cocteaux Twins ou encore The Appartments. Our Cruel Demise, malgré le peu de moyens utilisés, déploie une grandeur insoupçonnée, un lyrisme noir des plus captivants. L’intensité repose beaucoup sur l’organe vocal haut perché de Jeff Curtin, qui n’est pas sans évoquer l’éloquence d’un Tim Booth. Un titre comme “Flowers For Your Heart” nous ramène d’ailleurs aux débuts de James, plus particulièrement le versant épuré de la bande de Manchester, que l’on retrouvait lors de confessions comme “Why so Close” sur lesquelles on aimait tant se lover. Peu de chanteurs de nos jours se risquent à de telles vocalises frondeuses, car l’engagement intègre de la part du chanteur doit être total sous peine de se vautrer lamentablement et pompeusement. Dans ce cas précis, on ne doute jamais un instant de la sincérité de Jeff Curtin.
Pourtant, Our Cruel Demise prend volontairement le temps de s’installer avant de prendre son envol lyrique. Les premiers pas se font accompagnés des folksongs gothiques désincarnées qui happent l’auditeur sans esbroufe :“Dove Into My Heart”, “Her Heart The Queen” et sa scie fantomatique ou encore le catatonique “Spider Me Well” et ses claviers new wave oppressants. On retrouve même un peu l’esprit des chansons traditionnelles irlandaises qu’affectionnaient tant les Pogues sur “A Knife I Can’t Wait to Hold”. Mais ce n’est qu’à la cinquième plage que la grande percée s’effectue avec l’obsédant “My Thoughts Have Gone Through the Ceiling”, juste quelques arpèges aigus mélancoliques et cette voix terrassante suffisent à créer la magie. Des jours qu’on n’arrive pas à la déloger de notre tête. “The Garden is Gone”, “Flowers For Your Heart” “Melt Into The Bad” sont tout aussi insidieux et ne sont pas à laisser entre les mains de coeurs brisés, au risque de sombrer dans une déprime encore plus profonde.
Our Cruel Demise laisse l’impression d’être pris en traître car rien ne laisse présager une telle débauche de sentiments exacerbés… Qu’il est bon de prendre de temps à autres des gifles de cet acabit.
– Le site du label Klem North