Le retour de l’enfant prodigue, le maître de la guitare tronçonneuse et du son du XVeme millénaire signe son grand retour après douze années d’hibernation. Quatre nouveaux titres de l’ex My Bloody Valentine en chef c’est peu, mais c’est toujours mieux que rien.
Forcément après un si long silence, difficile de ne pas parler du grand retour de Kevin Shields sur cette BO du nouveau film de Sofia Coppola. Un retour si symbolique du leader des My Bloody Valentine que le reste de l’album nous semble à côté bien illusoire. Même Air, qui signe aussi son grand retour, est relégué au placard.
Douze ans donc. Douze années d’hibernation où les rumeurs les plus folles circulaient autour du créateur de Loveless. On le disait incapable de donner un successeur à son chef-d’oeuvre, considéré par beaucoup d’entre nous comme l’album de rock le plus novateur de la décennie précédente. Certaines mauvaises langues expliquaient cet absentéisme par un manque d’inspiration flagrant, que notre homme était fini, lessivé. D’autres sources proches du musicien donnaient une autre version des faits, comme quoi son contrat lié à Island le tenait bâillonné.
Déjà pour mémoire, les conditions d’enregistrements de Loveless s’étaient révélées un véritable cauchemar : tensions au sein du groupe ajoutées en passant par le perfectionnisme maladif de Shields et les délais de sorties sans cesse repoussés. La note de frais studio mirobolante laissé par le groupe à Alan Mc Gee avait bien failli engendrer la banqueroute du label Creation. Après de telles pressions financières et un acouchement dans la douleur, on comprend un peu que le monsieur est voulu marquer une pose, aussi longue soit-elle.
Le problème, c’est que depuis six ans Kevin Shields nous fait saliver en clamant haut et fort qu’un nouvel album de son groupe chéri sortira d’ici la fin de l’année. En vain. A force d’attendre, le mythe du nouveau My Bloody Valentine était devenu la même rengaine que le Chinese democraty de Guns and Roses, en moins marrant évidemment.
Pour passer le temps, nous nous contentions de quelques miettes et autres apparitions occasionnelles sous le nom du groupe (le tribute hommage à Wire en 1996 et un autre des Pastels en 1999), Shields louant dorénavant ses services de producteur dans l’ombre de formations plus contemporaines (Death in Vegas, Dinosaur Jr, Mogwai…).
Et puis la nouvelle est tombée au début de l’été : quatre inédits composés pour Lost in translation, le nouveau film de la talentueuse Sofia Coppola. L’histoire de deux étrangers perdus en plein Tokyo. Un retour discographique bizarre, mais inespéré.
Quatre titres c’est peu, mais c’est toujours mieux que rien dirions-nous. Alors oui, dès le cd posé sur la platine, la curiosité domine, on se prend à rêver. La chaîne est programmée directement sur les plages 2, 6, 10 et 14.
Le rendez-vous tant attendu débute avec « City Girl », unique morceau chanté sur les quatre inédits et étonnant de sobriété. Non pas qu’on s’attendait à un « Only Shallow » bis mais ce qui nous est offert là en pature tend davantage vers du Dinosaur Jr apaisé. Shields chante accompagné d’une guitare sans effets pyrotechniques, à la fois serein et bancal. Certainement le titre le plus reconnaissable du lot, ne serait-ce que pour le traitement passé sur la voix.
« Goodbye », second titre, est un court instrumental à la tonalité très ambient et de loin mon titre préféré du lot. Une tristesse proprement sublime, on retrouve là le grand Kevin Shields, tout en retenue qui parvient parfaitement avec quelques boucles rêveuses à retranscrire ce sentiment de solitude. On est déjà curieux de savoir comment tout cela s’emboîtera sur gand écran.
« Ikebana » joue dans le même registre, une très jolie mélodie sortie tout droit d’une boite à musique. Enfin « Awake », est le titre le plus électro du lot, accompagné d’une boite à rythme rudimentaire, des tourbillons de flanger synthétique côtoient encore le Brian Eno d’Another Green World.
De cette poignée de chansons, la sobriété semble avoir été le maître mot, Shields maîtrise toujours incontestablement les pop song tarabiscotées et ambiances rudimentaires à fort impact émotionnel. L’homme n’a pas cherché à nous faire un album de Drum n’Bass, ni nous en mettre plein la gueule en empilant les effets shoegazers, comme ce fut pourtant le cas sur ses récentes participations. Non, voilà un Kevin Shields modeste qui n’a pas cherché à tricher mais à se faire plaisir avant tout. Du coup, nous aussi on prend du plaisir.
Ha oui, j’oubliais, le reste de l’album ! Sur la dizaine de titres restant, tout n’est pas nécessaire. On constate surtout que le meilleur ici s’apparente à un hommage évident à l’invité prestige de cette soundtrack. Outre l’intégration de « Sometimes » tiré de Loveless, plusieurs proche et autres collaborateurs du maître sont présents.
Death in Vegas, un des héritiers les plus pertinent, prête ici son « Girls » avec son chant féminin très emprunté à celui de Bilinda Butcher. Les vieux frères de Jesus & Mary Chain sont là aussi pour semer leurs arpèges noyés dans une mer de feedback sur le classique « Just Like Honey ». Pour équilibrer le débat, l’électro(n) libre de Squarepusher représente la nouvelle garde, dont d’ailleurs les nouveaux morceaux de Shields sonnent étrangement voisins. Enfin, hors-propos, n’oublions pas l’inédit de Air qui n’est d’ailleurs pas transcendant, mais il paraîtrait que l’album est une merveille. Donc on attendra un peu avant de se faire une opinion.
Enregistré dans l’urgence, Los in translation nous réconforte sur la bonne santé de l’irlandais. Pas de Lee Mavers, ni de Syd Barrett à l’horizon, le chef d’orchestre de MBV survit à sa légende. Peut-être pas le retour tant attendu (de toute façon, on reste toujours déçu), mais une bonne mise en jambe pour l’avenir – et on croise les doigts pour que ce ne soit pas la dernière. Surtout qu’on raconte que notre Brian Wilson des 90’s aurait accumulé dans son studio des kilomètres de bandes qui n’attendent qu’à voir le jour. Bon alors monsieur Shields, qu’attendez-vous ouvrir les portes de votre caverne d’Ali baba ?
-Le site du film