Le septième et dernier opus des anticonformistes montréalais GY!BE vient rythmer notre monde chancelant et déchanté.
Qui de plus légitime aujourd’hui pour mettre en musique la froide cruauté de notre société et son inexorable déperdition que cette intransigeante communauté de musiciens formée en 1994 à Montréal ?
Chaque sporadique et nouvelle écoute de ce collectif est un moment intense, personnel et terriblement immergeant. Leur implacable et obsédante discographie demeure d’ailleurs un modèle du genre.
Fidèle à un idéal anarchiste, punko-activistes et très engagé à gauche, ils suivent une ligne dont ils n’ont jamais déviée depuis leur création : ils tournent le dos aux médias (en n’accordant que de très rares interviews), bannissent le culte de la personnalité, n’ont pas de site internet (excepté bandcamp), exècrent les GAFAM et ne chantent pas. Cet inventaire n’est pourtant pas exhaustif !
Leur musique expérimentale et post-rock, héritière de l’école psychédélique allemande (Can, Neu), est aujourd’hui plus que jamais impérieuse. Cette septième livraison épique et de grande qualité est une nouvelle preuve de la puissance de la musique.
Les compositions de Godspeed naissent régulièrement d’une situation minimale (quelques bruitages et bourdonnements diffus et inquiétants, de fréquences radios ou de fragments de dialogues) puis immanquablement la composition se déploie pour atteindre son paroxysme dans un maelstrom mélodique intenses et puissants. Dans cet œil du cyclone on entrevoit alors la beauté et la force de leurs compositions instrumentales. Une perception de nouvelles harmonies naissent même en plein cœur de la tempête, comme une abstraction ou un nouveau tunnel d’écoute. Un formidable kaléidoscope sonore et psychédélique en quelque sorte.
Le premier mouvement de 20 minutes est de cet acabit. A son point d’orgue «A Military Alphabet (five eyes all blind) / Job’s Lament / First of the Last Glaciers / where we break how we shine (ROCKETS FOR MARY)» est littéralement obsédant : le violon, les basses, les guitares électriques, la batterie sont utilisés à 120 % de leur capacité ; le morceau n’est plus alors qu’un hypnotique flux sonore extatique.
L’autre morceau de bravoure “GOVERNMENT CAME” / Cliffs Gaze / cliffs’ gaze at empty waters’ rise / ASHES TO SEA or NEARER TO THEE traque la beauté (celle de l’océan) et la force (celle de ses remous). Une cohorte de violons maussade et un jeu de de batterie massif signent un climat musical funèbre puis dans sa seconde moitié (sous l’influence peut-être du producteur Jace Lasek (The Besnard Lakes) il exalte la saveur d’une renaissance : les guitares flamboyantes instaurent l’espace de 5 minutes durant une ambiance musicale positive, glorieuse et énergique comme rarement entendue auparavant dans la discographie du groupe.
Les deux courtes compositions «Fire at Static Valley» et «OUR SIDE HAS TO WIN (for D.H.)» pourraient illustrer un tableau affligeant de notre futur. Un énième sanglot où règne la mélancolie du violon mais d’où pourrait naitre une seconde chance comme peut le suggérer le libellé du dernier morceau.
Constellation – 2021
Tracklisting :
12a [20:22]
A Military Alphabet (five eyes all blind) (4521.0kHz 6730.0kHz 4109.09kHz) / Job’s Lament / First of the Last Glaciers / where we break how we shine (ROCKETS FOR MARY)
10a [5:58]
Fire at Static Valley
12b [19:48]
“GOVERNMENT CAME” (9980.0kHz 3617.1kHz 4521.0 kHz) / Cliffs Gaze / cliffs’ gaze at empty waters’ rise / ASHES TO SEA or NEARER TO THEE
10b [6:30]
OUR SIDE HAS TO WIN (for D.H.)