Voilà enfin un signe de vie d’Eric Deleporte, retenu sur le sol américain depuis de nombreuses années pour raisons amoureuse et professionnelle. Son silence musical, il le doit surtout à une rupture un peu sèche de la part de feu Lithium, le label préféré des musiciens nantais. Car si Medium Crash, son deuxième album paru en 1999, fut accueilli à bras ouverts par la critique, le public ne suivit pas, et Lithium ne démontra pas une énorme volonté pour défendre son poulain. Mais sa poignée de fans lui reste fidèle, il suffit pour s’en rendre compte de taper le nom de Perio sur n’importe quel moteur de recherche pour dénombrer un grand nombre de pages qui évoquent ce troisième album. The Great Divide fait donc l’effet d’un micro-évènement dans le petit monde indie rock hexagonal.
Présenté par le maître de céans comme l’album qui clôture un cycle de trois (le premier, Icy Morning In Paris, parut en 1994), The Great Divide reprend les choses à l’opposé de là où il les avait laissées. D’abord, sa compagne Sarah Froning ne fait plus que quelques brèves apparitions, coincée qu’elle est par des études d’anthropologie. De plus, l’univers musical d’Eric Deleporte s’est considérablement enrichi depuis Medium Crash. Si Neil Young et Sixteen Horsepower font toujours partie de son Panthéon personnel, leur influence est bien moins prégnante sur The Great Divide. En revanche, les plus récentes déflagrations pétulantes de The Shins ou Band Of Horses semblent avoir durablement marqué l’expatrié. Ces balises n’occultent pas pour autant un goût prononcé pour une production typiquement de chez nous, celle qui grave l’oeuvre de The Married Monk ou Pierre Bondu (artistes avec lesquels il collabore régulièrement) dans la roche, cette production massive, pointue et architecturale. C’est d’ailleurs la première grande qualité de cet album, l’attention portée à sa production y est remarquable.
Au-delà de ces considérations périphériques, The Great Divide se démarque surtout par son lot de pièces régulièrement marquantes. S’il a certes eu le temps d’élaborer de bonnes chansons, Eric Deleporte a surtout profité de sa vacance forcée pour les sculpter, les élaguer, les tailler, les évider, les malaxer pour un rendu d’une classe folle. Point trop n’en faut, chacun des onze morceaux de The Great Divide est d’une concision optimale. Pas de rallonge ni de retouche, pas de gras ni de superflu. On dirait vulgairement qu’elles ont ce qu’il faut là où il faut, et rien qui dépasse. En effet, Perio c’est un groupe à l’identité mélodique forte, et ce troisième album renforce considérablement cet aspect. Il suffit d’écouter le titre d’ouverture, “Sheer Garbage”, pour s’en convaincre : trois ou quatre accords de guitare, une mélodie chantée d’une basicité radicale, un grondement vocal et un rai d’harmonica, l’affaire est emmenée en à peine deux minutes. La démonstration est tout simplement brillante. D’autant que “Jiggling”, la deuxième plage que l’on croirait échappée d’un album des The Go-Betweens après des vacances en Arizona, change immédiatement la couleur de l’album.
Et c’est ainsi pendant 35 minutes, une chanson, un univers. La densité grave de “Unconnected Soul”, les arpèges so british du classieux “An Evening Constitutionnal” que l’on prendrait pour une maquette d’un titre caché du dernier Radiohead, la ritournelle bastringo-atmosphérique exilée à Versailles de “The March”. S’il faut en extraire une en particulier, notre préférence se portera sur “Tell Him”, une petite galipette pop-folk à vous dresser les fourmis rouges sur la tête, avec son refrain idiot, son couplet gracile, ses guitares indisciplinées et son orgue en pleine crise d’adolescence. Perio n’est jamais là où on l’attend, chaque morceau est l’occasion pour lui de nous donner un improbable rendez-vous dans le seul but de nous poser un lapin. Le pire c’est que même en étant dans la complicité, on se fait surprendre à chaque écoute, et avec le sourire en plus.
Perio est donc revenu, armé jusqu’aux dents de chansons racées et dressées au combat toutes catégories. Après une première approche qui laisse poindre l’indifférence, à cause de la voix d’Eric Deleporte, faussement banale si on n’y prête qu’une attention toute relative, The Great Divide sait délivrer des saveurs irrésistibles. Un petit disque qui deviendra grand.
– Son MySpace