Dépravation stupéfiante et rock de profundis sont les maître-mots du gang psyché-folk de Vancouver sur cet épique second opus. Guère recommandé aux doux inconditionnels de Dark Side of The Moon, mais plutôt aux patients sujets de thérapie à base d’électrochocs.
A la vision inquiétante de cette pochette, difficile de savoir où Black Mountain veut en venir. Planète Interdite ou Hurlante, c’est selon, réminiscences des sagas «dunesques» d’un Frank Herbert et des pochettes des barons anglais du rock 70’s, planant (Pink Floyd) et plombé (Black Sabbath) ? Une chose est sûre, ce n’est certainement pas le futur dont nous, communs des mortels, aspiront. Qu’il est néanmoins amusant de constater à quel point ces images au pigment devenu sépia continuent de faire l’objet d’un culte chez quelques férus attardés de science-fiction, dont les allumés de la Black Mountain Army.
Rayon mauvais trip, ce second opus de Black Mountain tient toutes ses promesses, à l’image du cauchemar psychotrope des Warlocks, Heavy Deavy Skull Lover paru en novembre dernier. La dimension space-rock en moins pour les canadiens, car pendue au mousqueton de son leader Stephen Mc Bean, la formation acid-rock en a momentanément fini d’escalader les cimes velvetiennes des Pink Mountaintops pour se lancer maintenant dans la spéléologie. A travers cette nouvelle expédition se creuse un rock tuméfié et abyssal, une descente lente et irréversible vers le noir absolu.
Sujet intéressant, album après album, et au-delà du chaos qu’il entraîne, Black Mountain érige un oeuvre d’une cohérence implacable, avançant diligemment sans dévier de sa course initiale. Un cas d’autant plus suprenant de la part d’un collectif qui se présentait, au départ, comme interchangeable et centré autour de la personnalité de Stephen Mc Bean. Hors avec ce second opus, Black Mountain révèle une forte entité de groupe, sentiment renforcé par son line up identique au premier album : la vocaliste Amber Webber et le batteur Joshua Wells tous deux déjà réquisitionnés des Pink Mountaintops ainsi que le bassiste Matt Camirand et le claviériste Jeremy Schmidt. Produit et enregistré une fois de plus par les soins du gourou Mc Bean, la formation impénétrable n’a fait qu’une seule entorse extérieure : le mixage laissé aux mains expertes de John Congleton (Explosions in the Sky).
Avec ces plans de riffs mastodontes piqués à Tony Iommi (“Tyrants”, “Stormy High”) et ses séances de narcose floydiennes (des claviers à la “Wish You Were Here plus vrais que nature), il serait cependant présomptueux d’associer cette formation à un quelconque cliché issu de la nébuleuse figée psyché-progressif. L’affaire n’est pas si simple. Que ce soit avec Pink Mountaintops ou aujourd’hui avec Black Mountain, les disques de la fatrie Mc Bean deviennent de plus en plus épais, râblés et sans retour. Fascinants de bout en bout. Les émanations toxiques répandues par ce rock dérangeant, fortement imprégné d’essence rock seventies, prennent à la gorge. Cette sensation de manque d’oxygène culmine avec “Bright Light”, 16 minutes d’une jam poisseuse en transit vers la mort.
Fort heureusement pour leur santé, la montagne noire fait quelques entorses à ces purgatoires épiques. Le chanteur Mc Bean usurpe tour à tour les identités du Wizzard Ozzy Osbourne (“Evil Ways”) sur une lumineuse folk song “Stay Free”, où celle interstellaire d’un Ziggie Stardust (“Wild Wind”). A la charge de la captivante Amber Webber de s’approprier les phases d’accalmies serties de Mellotron et d’orgues, et sur la dernière plage, la marche messianique “Night Walk”.
Une fin sans épilogue, et cette pensée de Nietzsche qui nous revient en forme de coda : Si tu regardes l’abîme, l’abîme te regardera.
– BlackMountainarmy, le site officiel