De retour après presque dix ans de silence discographique avec un line up totalement remanié, Guy Chadwick a solidifié les fondations de sa maison de l’amour, sur un disque revigorant.
Serions-nous de retour en 1992 ? En l’espace de deux semaines, Suede, Pixies et The House Of Love sortent dans les bacs de nouveaux albums. Ces anciennes gloires de l’indie rock sont bien décidées à ne pas se reposer sur leur back catalogue, à l’inverse d’autres (Ian Mc Culloch m’entends-tu ?). Concernant les formations de Brett Anderson et Black Francis, les rockers quinquas continuent de leur côté de tourner régulièrement et enregistrer des disques à fréquence de trois ou quatre ans. Certes, sans atteindre l’excellence de leur période dorée, mais sans déshonneur non plus. Guy Chadwick, en revanche, le tenancier de la maison de l’amour, 66 ans, se veut désormais plus discret. She Paints Words in Red, dernier opus en date, remonte déjà à près de dix ans, et un peu vite oublié, faute de compositions vraiment marquantes. Un gâchis lorsque l’on sait ce dont quoi l’auteur de “Destroy the Heart” et “Safe” est capable.
De plus, le départ annoncé des membres historiques Terry Bickers (guitare) et Peter Evans (batterie) en 2021, ne faisaient qu’accentuer notre sentiment de délabrement de la maison de l’amour. Désormais seul aux manettes, Guy Chadwick, ses fameuses joues toujours creusées et ses tampes désormais grisonnante, aurait réquisitionné à la place d’illustres inconnus : la fratrie Keith (guitare) et Harry Osborne (basse) et Hugo Degenhardt (batterie). Pas à fait inconnus à la vérité, ces nouvelles recrues – tous originaires d’Hastings comme Chadwick, enregistré à domicile – avaient assuré la précédente tournée de The House of Love aux Etats-Unis avec son leader, suite au refus des autres piliers historiques d’y participer. Les concerts outre-atlantique se sont tellement bien déroulés que son emblématique leader, l’inspiration revigorée, a décidé de conserver son frais line up pour rentrer au studio. Au vu du résultat, on se dit finalement que ce sang neuf est un mal pour un bien.
Un choix peut-être discutable pour les fans intégristes de la première heure, mais ce serait aussi oublier que Guy Chadwick demeure l’unique compositeur d’un groupe qui a déjà traversé de nombreuses crises internes par le passé. La récente parution du coffret Burn Down The World, 8 CDs rassemblant la carrière post Creation du groupe (avec raretés, b sides et inédits live à foison), paru cet été chez Cherry Red Records, nous rappelle que la période “Papillon”, Babe In Rainbow et A Spy in the House of Love sur la major Fontana, ont formidablement bien vieilli (réécoutez « Yer Eyes », « The Girl With the Loneliest Eyes », « Fade Away » …). Sans oublier le délicat Lazy Soft & Slow, unique album solo du maître d’oeuvre, à classer également au rang des chef-d’œuvre méconnus des années 90.
Les retrouvailles sur A state of Grace avaient pourtant mal commencé avec le premier single dévoilé, Clouds, présentant une bâtisse au son endurci, murs blindés façon garage blues rock à la Black Rebel Motorcycle. Ce titre, certainement l’un des plus électrique du répertoire du groupe, n’est pourtant pas vraiment représentatif du reste de l’album, assez varié en définitive. Après coup, on aurait même tendance à apprécier cette composition, tant sa mélodie fait insidieusement son petit chemin dans notre mémoire.
Les premières secondes de l’album s’ouvrent sur quelques notes d’harmonica, accompagné d’une section rythmique élégamment traînante, quasiment une valse, et pourrait en soi aussi très bien illustrer un titre tel que Lazy Soft & Slow. “Sweet Loser”, est d’ailleurs son nom, Chadwick y revêt l’un de ses costumes préféré, celui du perdant attachant : “Je suis le doux perdant que personne ne voit”, chante Chadwick, de sa voix grave et lascive, qui semble n’avoir jamais bougé depuis 35 ans. Toujours sur la thématique loser, mais plus ensoleillé, « Light of The Morning », met en valeur un banjo et des choeurs gospel qui nous rappelle étrangement le « My Sweet Lord »de George Harrison, mais dans une version plus bluesy qu’Hare Krishna.
Avec Melody Rose, les guitares redeviennent plus menaçantes dès l’intro, quasi industriel, mais la structure dérive finalement vers un riff blues à la Personal Jesus de Depeche Mode. Cette aspérité blues est d’ailleurs récurrente sur une grande partie de l’album (un banjo étoffe quelques pistes ici et là). Chadwick est toutefois un songwriter suffisamment fin et racé pour embarquer ses compositions vers des structures mélodiques élaborées et inattendues (country folk, gospel, rock velvetien…). Le compositeur vétéran rate rarement son coche, mais c’est pourtant le cas sur « Sweet Water », gentiment inoffensif, pour ne pas dire anecdotique.
« Hey Babe » est d’un autre tonneau, une rêverie pop shoegazy, à la douce mélodie, révélant le talent intact de Chadwick d’écrire des chansons touchantes dotées d’une élégance inouïe. Même constat avec les irrésistibles « Inti The Laughter » et « In My Mind », où le timbre grave du chanteur se situe délicieusement entre Lou Reed et Peter Perrett (The Only Ones). Les titre plus en verve, « A State of Grace » et « Queen of Song », nous renverraient même aux années bénies sur Creation, production comprise. Ah Nostalgie quand tu nous tiens…
A State of Grace, laisse le sentiment que l’homme au papillon a retrouvé ses ailes, le désir et l’envie de composer. La maison de l’amour est de nouveau digne du nom qu’elle porte. Anaïs Nin peut s’en réjouir.
Cherry Red Records – 2022
https://www.thehouseoflove.co.uk/
TRACKLISTING :
- SWEET LOSER
- LIGHT OF THE MORNING
- MELODY ROSE
- CLOUDS
- INTO THE LAUGHTER
- HEY BABE
- SWEET WATER
- QUEEN OF SONG
- IN MY MIND
- STATE OF GRACE
- DICE ARE ROLLING
- JUST ONE MORE SONG