La fierté de Matthew Houck, l’homme qui se cache derrière Phosphorescent? Sans doute celle de livrer, avec ce quatrième album, un disque abouti qui tutoie de près les maîtres de l’americana.
On ne sait pas grand-chose de l’entité masculine et chevelue qui se cache, dans le contre-jour d’une chambre d’hôtel, sur la pochette de Pride, dernier album en date du chanteur new-yorkais Phosphorescent. Tout juste qu’il s’agit de son « quatrième album », comme nous l’apprend la bio, et l’écoute de ce dernier suffit à nous couvrir de remords tant sa musique, un folk acoustique mélodique et habité, est une heureuse découverte. C’est d’ailleurs une bonne nouvelle de continuer à s’émerveiller de ces petites surprises qui font la différence, dans un style musical aussi galvaudé que celui de l’americana.
Matthew Houck se démarque de ses petits camarades de gratouille par une présence unique, qui doit beaucoup à sa voix haut-perchée, lancinante ou caressante, qui rappelle à maintes reprises les caractéristiques vocales d’un Besnard Lakes, compliment de bon augure s’il en est. Souvent accompagné de chœurs hypnotiques qui surenchérissent la dimension magnétique de sa musique, Matthew Houck est sans aucun doute un fin mélodiste, pour qui l’acte de composition ne se résume pas à la juxtaposition de trois accords usés jusqu’à la (six-)corde(s). Pour s’en convaincre, la progression accidentée de “A Picture Of Our Torn Up Praise”, tout en cascades vocales : le chanteur part d’une note aiguë, puis entame une descente toute en volutes concentriques, accentuée par l’écho des chœurs. Le phrasé légèrement à contre-temps de Matthew Houck confère un balancement inégalé à la composition, tandis que la rythmique ternaire qui intervient entre chaque couplet laisse libre cours à une explosion de chœurs quasi-mystiques.
Comme pour mieux trancher avec le nihilisme de notre monde contemporain, une certaine ferveur transparaît à plusieurs occasions. Une ferveur toute païenne, qui n’a rien à voir avec quelque mysticisme religieux mais chante plutôt l’inquiétante étrangeté du monde. C’est le cas par exemple dans les chants hantés de “Be Dark Night”, longue complainte lumineuse à quatre voix, ou dans les délires vocaux post-hippie de la dernière piste, “Pride”, où, pendant plus de six minutes, les chants religieux rencontrent les hululements et autres fantaisies d’un chœur décidément peu orthodoxe. Et lorsque Matthew évoque, sur fond de ukulélé, une peur irrationnelle («Mama there’s wolves in the house» dans “Wolves”) la naïveté enfantine dispute à la profondeur d’un texte très bien écrit sur fond d’orgue.
A la manière d’un Bonnie « Prince » Billy, Phosphorescent sait manier la noirceur en incorporant des rais d’une lumière salvatrice : la progression abyssale de “The Waves At Night” est ainsi réhaussée par la clarté des chœurs atmosphériques.
Cet album nocturne, qui évoque autant la noirceur du jour finissant que celle, plus diffuse, des sentiments, est pourtant d’une étonnante luminosité. Mais n’est-ce pas précisément la propriété d’un corps phosphorescent, de restituer une lumière diffuse et persistante, dans l’épaisseur de la nuit ?
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