Ils ont pris tout leur temps. Ils ont bossé d’arrache-pied, sillonnant les scènes qui comptent dans le monde du rock pointu et strident (Canada, Allemagne, Grande-Bretagne, Europe de l’Est, jusqu’à la Knitting Factory de New-York ou la galerie de Kamel Mennour à Paris…) avec leur electro-rock ébouriffant. Et surtout, ils ont livré deux EP littéralement ravageurs : Modern Times et An Allegory Of Chastity (respectivement en 2006 et 2007, tous deux chez Disque Primeur) taclaient sauvagement l’intégralité des parangons de la scène fluo-kid en leur dispensant une leçon d’histoire sur un dance-floor liquide d’avoir trop chauffé. Quiconque se sera frotté à ces neuf chansons pourra arborer les traces de brûlure avec une fierté non feinte.
C’est simple, Adam Kesher est en passe de tout emporter avec ce premier album (qui ne comporte que des nouveaux titres), massacrant tout ce qui bouge à grands coups de riffs et de beats monstrueux. Un détail, les six membres d’Adam Kesher sont tous français. Et ça donne furieusement envie de jeter son passeport, cette histoire. Plus besoin de se taper des vols de nuit pour aller se déchirer les oreilles intelligemment aux quatre coins du monde.
Formés à Bordeaux, basés à Paris, les six potes à l’origine de ce conte de fées libidineuses ont biberonné à tout ce qui a, de près ou de loin, laissé de profondes stigmates au rock entre 1970 et 2000. De Sonic Youth à Gang Of Four, de Joy Division à Fugazi, en passant par Daft Punk ou Liars, tout y est. Si on a du mal à cerner les nombreuses colonnes du temple d’Adam Kesher, on prend en pleine gueule leur musique qui a su se nourrir de tous ces modèles et s’en affranchir aussitôt, pour devenir un rock agressé par l’electro, à moins qu’il ne s’agisse d’une electro violée par le rock.
“Local Girl”, mid tempo au beat de diplodocus, ouvre le bal avec un groove empêtré dans une marée noire, et qui voit Julien Perez vanter les mérites d’une nuit torride sans souci du lendemain, sans se cacher de l’amertume du petit matin. Déjà moites, nous voilà confrontés à “Ladies, Loaghting and Laughter” incontestable tuerie, poignardant sauvagement Phoenix en confrontant des guitares power-pop à un beat dance stricto-sensu ; et quand ces gros crétins de David Guetta et Bob Sinclar font danser les petites bourgeoises des lycées privés californiens, Adam Kesher embarque toutes les autres filles sur la piste avec cet hymne euphorique et littéralement électrisant. “I Wanna Bark” fait tremper le David Bowie de Lodger dans un bain d’acide garage hautement toxique, pour s’achever sur un sifflement rigolard, celui du tueur froid et professionnel, mais heureux de vivre.
Ainsi défile Heading For The Hills, Feeling Warm Inside, de brûlots épileptiques en bombes atomiques, du sous-sol du CBGB aux stroboscopes de l’Hacienda. Adam Kesher fait d’ailleurs preuve d’une maîtrise incroyable des canons de l’écriture rock, s’asseyant à plusieurs reprises sur le modèle couplet-refrain-couplet-pont-refrain, préférant asséner ses chansons toujours sur le fil (de très haute tension) avec une brutalité toute carnassière.
Avec une telle énergie, on craint à tout moment la chute, le fracas. Mais non, les petits gars tiennent la distance, mieux, montent en puissance tout au long de l’album, choisissant de ne pas choisir entre la pop, le punk et l’electro. Que ce soit dans l’un ou l’autre des styles, le sextet excelle. Pour preuves supplémentaires, la démoniaque “While my Mind Was Dry” qui vient déterrer le cadavre encore fumant des Talking Heads. Ou, à l’opposé, “South” et sa cold-wave glaçante, sommet bruitiste de l’album qui s’enfonce progressivement dans la terre à grands coups de mâchoire, pour finir fondue dans un magma de synthés dangereusement roboratifs sur un finale déconseillé aux âmes sensibles et aux cardiaques. Pierrick Devin (déjà rencontré aux côtés de Cassius ou Phoenix) a dû faire usage de tout son savoir faire à la production pour constituer une architecture sonore à même d’accueillir cette musique littéralement explosive, pour un rendu écrasant.
A noter deux petites coquetteries, caprices de sales gosses. “Talent and Distance” et “Syllable”, seules ballades de ce disque démentiel, sont deux occasions pour Julien Perez de faire son Jarvis Cocker (son idole parraît-il). Et l’imitation est saisissante, et pas seulement dans la voix. Perez a tout compris du processus narratif des chansons de Pulp, ainsi que de leur construction, et il s’amuse à imaginer une reprise impeccable. Sauf qu’il s’agit bien là de titres originaux confondants de réalisme et parfaitement aboutis.
Adam Kesher est aux portes de la gloire, et malgré la jeunesse de ses membres, possède toutes les qualités requises pour l’aborder sereinement : une expérience scénique déjà solide, une maturité à toute épreuve, une morgue insolente, et surtout un gros paquet de chansons comme autant de bombes à déflagrations. Vous êtes désormais prévenus, ne ratez pas ce phénomène…
– Lire également l’interview d’Adam Kesher
– Le site officiel d’Adam Kesher
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