Si on aime Prince, Miles Davis, Earth Wind & Fire, mais aussi Snoop Dogg, De La Soul, A Tribe called Quest, Arrested Development et les Red Hot, on devrait plus qu’apprécier ce double CD, faux fourre-tout qui cache une oeuvre très ambitieuse et surtout très réussie. Addicted !
Big Boi (Antwan Patton) et Andre 2000 (Andre Benjamin), aka OutKast, se sont imposés depuis la fin des années 90 comme « le » duo représentatif du rap du sud, tentant -avec succès- de passer l’héritage soul laissé par Sly Stone ou George Clinton (Funkaledic) dans le rap. L’album Stankonia, et son titre mémorable « Miss Jackson » (dont le clip passait en boucle sur les chaînes musicales) a fini de faire connaître mondialement OutKast, rappelant d’ailleurs un autre groupe rap des années 90 atypique : Arrested Development. Ce qui apparaît ici comme étant un double album ne l’est pas vraiment et il serait plus correct de le considérer comme le testament musical de chacun des deux protagonistes.
– Le premier, Speakerboxxx, est l’oeuvre de Big Boi, plus porté que son partenaire Andre 2000 par la soul, mais moins intéressé par les expérimentations. Plus respectueux des traditions ? Non, nous n’irons pas jusque là, mais la référence directe à la soul en général et en particulier à quelqu’un comme Marvin Gaye est plus que flagrante sur l’excellent « The way you move », aidé en cela par Sleepy Brown. Rien que ce titre, dont je ne me lasse pas de passer en boucle, rappelle allègrement l’album Midnight Love (et son sensuel « Sexual Healing »). Les cuivres et les voix sont largement privilégiées ici, rendant un vibrant hommage à Marvin. Plusieurs titres de cette première face sont d’ailleurs teintés de l’atmosphère du dernier album de celui qui finira tué par son père.
Et même sur des titres paraissant partir vers des zones extrêmes, le refrain vient toujours rappeler la soul, le funk et le groove. Le titre « Ghettomusick », basé sur des loops d’électro folle, comporte deux passages tout à fait dans le format R’n B. Chassez le naturel, il revient au galop comme on dit.
Ce premier disque explore donc la musique noire qui va du rap à la soul, en passant par le funk et en faisant un clin d’oeil au rock. Le titre « Bust », avec Killer Mike, est plus énergique et on se met à penser à Bodycount, le projet hardeux de Ice T, tellement les riffs de guitare « arrachent ». Le tout fait (bizarrement) immanquablement penser à Snoop Dogg(plus flagrant encore sur « War »). OutKast se plait à évoluer dans un registre où les frontières n’ont jamais été vraiment définies entre les genres, continuant à péréniser ce que Run DMC avait entamé avec Aerosmith sur le fameux « Walk This Way » et ouvrant par la suite la brèche à des groupes comme Cypress Hill.
« Tomb Of The Boom », avec la participation de Konkrete Big Gipps et Ludacris, est un rap lancinant rappelant le meilleur de Dr Dre et -encore- Snoop Dogg, plus précisément le single qu’ils avaient fait ensemble : « Nuthin’ But a ‘G’ Thang ». Quand à « Knowing », il enfonce le clou. En clair, si vous avez apprécié l’excellent Doggystyle il n’y a aucune, mais aucune minute à perdre pour aller écouter celui-ci.
– Le deuxième CD, The love below , est celui d’Andre 2000. Il commence très délicatement, par une petite intro très doucereuse. Mais dès « Love hater », le démarrage semble honorer le Prince des années 80 (solo de guitare notamment), pour enfin glisser vers un titre plus que jazz chanté par une femme (euh non, c’est lui !), bercé par de nombreux cuivres et rythmé par un piano nerveux. On comprend très vite qu’il s’agit d’un CD aussi bon et travaillé que le premier, et non de remplissage comme ça peut de temps à autres être le cas sur ce genre de format quantitatif.
Le jazz ici refait surface à maintes reprises : « She’s alive » et surtout le très trip hop jazz « My favourite things » (référence à John Coltrane ?), sorte d’orgie instrumentale tourbillonnante, qui fait penser à Buckshot LeFonque également. En atteste également « Take Off Your Cool », avec La chanteuse -représentant 20% des ventes totales de jazz de l’année 2003- j’ai nommé : Norah Jones.
La production, est encore une fois nickel. Une guitare sèche finit par donner cette première -fausse- impression de CD gentillet. C’est pourtant mal connaître OutKast, qui nous le rappele, comme beaucoup de CD de rap américain, dès que les bitch et ass font leur apparition. Les interludes sont toujours suaves musicalement, et plutôt crus -strong language bip bla bla-, mais non dénués d’humour pour ce qui est des paroles. Certains de ces interludes peuvent faire penser à ce que nous avons pu entendre par De La Soul et qui, si utilisés à outrance comme Prince Paul finissent par lasser et gâcher le CD. Mais, je vous rassure, ce n’est point le cas ici.
Dès « Happy Valentine’s day », le ton est donné : on va taper du pied, fredonner des mélodies enjouées, taper dans ses mains et tout le tintouin, dans une ambiance très proche des Red Hot Chili Peppers « Sir Psycho Sexy ». C’est ensuite une sorte de drum & bass qui est appelée à la rescousse sur « Spread ». L’ombre d’Earth Wind & Fire vient pointer le bout de son nez par des voix aériennes très mélodieuses et très justes, dans la bonne vieille tradition groove-soul-funk des années 80.
« Hey Yai », single dont le clip passe en boucle sur les chaînes musicales, est véritabelment un très bon simple, mélangeant toutes les musiques noires au rock, ou le contraire, c’est selon, mais la mayonnaise prend bigrement bien, c’est clair. Ce que l’on sait moins c’est qu’Andre 2000 est vraiment un multi-instrumentiste avéré (synthé, batterie et boîtes à rythmes, guitare – ce que le clip illustre d’ailleurs).
Des titres comme « Love In War », qui lorgne du côté de la techno, ou « Vibrate » sont un peu plus politiques, et illustrent merveilleusement l’expérimentation sonore. Ceci pour dire qu’OutKast semble véritablement ici avoir eu pour ambition de tester, tel un laboratoire de recherche biologique, des sons et mélodies pour tenter de synthétiser les musiques noires de ces quatre dernières décennies. Rien de moins. « Vibrate » est un savant mélange de sons hip hop (rythmique à la Beastie Boys) et d’une trompette à la Miles Davis. Andre 2000 aime le jazz, cela ne fait aucun doute !
Le CD se clôt sur un rap au flow facile, fluide et rapide. Très bon disque.
Ce deuxième CD complète le premier dans sa couverture exploratrice des genres de la musique noire, avec un accent prononcé sur le jazz.
Ce double CD, c’est de la dynamite !…
Le site de OutKast