A trop vouloir sortir les griffes, la démonstration de force de Shearwater nous laisse de marbre.


Quelque chose s’est fêlé et nous détache de Animal Joy, sixième opus du groupe créé par le songwriter et multi-instrumentiste texan Jonathan Meiburg. Notre engouement pour la folk rock sophistiquée de la formation d’Austin n’avait cessé de croître depuis Winged Life (2004), lorsque l’encore inconnu Will Sheff, d’Okkervil River, en partageait l’écriture et le chant. Volant par la suite de ses propres ailes, Jonathan Meiburg n’a cessé d’élever toujours plus haut sa formation. Au carrefour de Radiohead, de Talk Talk et du terroir Americana, la passionnante trilogie Island Arc, constituée par Palo Santo, Rook et même The Golden Archipelago, qui avait divisé la critique, a assis la réputation de Shearwater, largement méritée.

Victime de son ambition dévorante, l’ornithologue Jonathan Meiburg se serait-il brûlé les ailes ? Animal Joy représente sans nul doute une nouvelle somme considérable de travail : le son est phénoménal et la voix haut perchée de Jonathan Meiburg demeure toujours aussi investie. Pourtant, quelque chose grince. Peut-être dans cette recherche d’efficacité dans l’écriture trop prononcée, d’habitude plus alambiquée. À vouloir jouer systématiquement de son impressionnante force mélodique, Shearwater perd en contrepartie de son caractère précieux. L’état de grâce auquel il aspire se transforme,malencontreusement, en lourdeur. Cette propension à l’épique proviendrait-elle de sa participation en première partie à la tournée des stades de Coldplay ?

Il y a pire. Les spectaculaires grondements de fût du batteur viking Thor Harris (également membre des ténébreux Swans) n’y feront rien, la redondance guette. Des envolées – aussi réussies soient-elles – comme « You as You Were » et « Animal Joy », donnent l’impression dérangeante d’avoir déjà été entendues sur les trois précédents albums. Une oreille vierge fera probablement son nid en découvrant ce puissant déploiement, tandis que les vieux fans, déçus de se voir servir du réchauffé, et retourneront au bon souvenir de Rook.

Lors d’un entretien accordé au moment de The Golden Archipelago, on se souvient avoir irrité Jonathan Meiburg à l’évocation du mot « épique », ce dernier feignant de ne pas comprendre notre question. Cette incompréhension perdure sur Animal Joy, et risque de faire perdre ses ailes à Shearwater.

Shearwater – “You As You Were”