Esthètes du swamp rock depuis près de 25 ans, les anglais Gallon Drunk rendent hommage à leur défunt bassiste Simon Wring sur un nouvel opus noir, sauvage et groovy. Du rock’n’roll pur.
Avant d’être submergée par la vague brit-pop, l’Angleterre du début des 90’s fut aussi le terrain de jeu de vrais rockers écorchés. Parmi eux, un jeune guitariste épris de punk rock et de jazz, James Johnston. Il fonde Gallon Drunk à Londres en 1988 en compagnie de Michael Delanian (basse), Max Decharne (batterie) et Joe Byfield (maracas). Assimilé à la famille du rock de cabaret barré – Tom Waits, Nick Cave, PJ Harvey, etc. – le groupe connaît un succès populaire et critique dès ses débuts, collectionnant les « Singles of the week » du NME et du Melody Maker, ainsi que le soutien du passeur John Peel. Depuis You, the night… & the music (1992), Gallon Drunk n’a cessé de contaminer le rock anglais de ses effluves post punk, noise, jazz et mambo. Le groupe alterne albums studios et travaux d’illustration (Dora Suarez, Black Milk, East End), mais trouve surtout sa raison de vivre sur scène. Johnston intègre le saxophoniste Terry Edwards et engage un nouveau batteur, Ian White, pour donner corps au chef-d’œuvre du groupe In the long still night (1996). Le bassiste Simon Wring arrive à la fin des 90’s et ce line-up résistera jusqu’à la mort tragique de ce dernier en 2011. Effondré par la perte de son ami, mais aussi galvanisé par sa participation aux Bad Seeds de Nick Cave et à Big Sexy Noise de Lydia Lunch, James Johnston s’accroche et s’envole à Hambourg aux studios Clouds Hill pour enregistrer ce nouveau coup de sang, The road gets darker from here.
En 2012, Gallon Drunk continue d’explorer les tréfonds poisseux du rock avec la même fureur et concision qu’à ses débuts. The road gets darker from here, dédié à leur défunt bassiste, est une collection de huit uppercuts entre groove épais et fuzz perforant. Dès l’introductif et mudhoneysque « You made me », la batterie donne le ton et la basse monte au front. Elastique, elle se conjugue insidieusement à cette guitare collante typique du style Gallon Drunk. Sur des accords bluesy et des saignées garage, James Johnston aboie comme au fond d’une cave humide et sombre. C’est cette même humeur noire et une évidente douleur qui habite les huit titres du disque, tous obsédants et trempés dans le blues. Valse lancinante (« Hanging on »), cavalcade mortifère (« A Thousand years ») ou balade chorale (« Stuck in my head »), chaque chanson possède son swing propre et vient réchauffer nos oreilles gelées.
Adepte d’une certaine forme de folie dans la concision, le groupe privilégie les compositions brutes et efficaces, sans se priver de les saupoudrer de quelques orgue, harmonica, percussion ou maracas délétères. Le truc en plus chez Gallon Drunk, c’est le saxophone de Terry Edwards, enivré et chaotique. Il fait des merveilles en distillant son souffle vital à cette épopée brûlante et lugubre qu’est « Killing time », au très New Orleans « The Big Breakdown », et au licencieux « I just can’t help but stare ». Passionnés et accueillants, les anglais invitent l’expatriée française Marion Andrau (de Railroad Underground) à psalmodier sur le final « The perfect dancer », longue transe dépouillée et martiale.
La prise de son sur The road gets darker form here semble rudimentaire, comme pour mieux capter toute la spontanéité qui fait l’essence du groupe. Certaines parties souffrent d’un trop grand effacement dans le mix (l’harmonica de « Hanging on » par exemple, le chant de James Johnston souvent), mais le souffle et l’énergie primitive du trio sont préservés. Dans cet album hommage à un ami perdu, le groupe ne s’apitoie jamais sur son sort mais le défie dans un grand élan de colère et de générosité. Disque de rock’n’roll pur, essentiel, The road gets darker from here se pose aussi là, comme un défi aux productions froides, techniques et boursouflées qui polluent notre époque.
GALLON DRUNK – « A THOUSAND YEARS »