Surprenant troisième opus du collectif parisien où se réveillent les guitares vrillées de Sonic Youth et les climax cérébraux de This Heat. Un grand millésime pour Centenaire.
Oubliez hier l’école de Canterbury, Mark Hollis et la folk progressive, c’est un Centenaire aujourd’hui émancipé, tourné vers l’électricité, et bien décidé à remonter les potards qui se dévoile sur ce fascinant troisième opus, Somewhere Safe. Après deux albums mâtinés de psyché folk soigneusement déviante, le collectif parisien fondé en 2006 par Damien Mingus alias My Jazzy Child, Axel Monneau alias Orval Carlos Sibelius, Aurélien Potier (Section Amour, Matt Elliott en solo), rejoint deux ans plus tard par Stéphane Laporte alias Domotic (membre également d’Egyptology) n’aspire désormais plus qu’à détruire les cloisons de sa musique de chambre baroque pour annexer des territoires inconnus, voire escarpés.
Avec le départ d’Orval Carlos Sibelius, aujourd’hui concentré sur sa carrière en solo (le majestueux délirium psyché pop Super Forma paru l’année dernière), la formation redevenue trio a repensé tout son environnement sonore. En s’orientant vers une certaine rugosité rock, le triumvirat de multi-instrumentistes accède sur ce troisième opus à une intensité inédite, alliance de guitares abrasives et de claviers kraut. Si ce virage électrique a été officiellement amorcé cet été avec le EP Sainte Croix, tout bien considéré, nous en avions déjà eu un bel aperçu voilà cinq ans avec le pesant « Testosterone » sur 2 (2009). En regard du reste du disque diamétralement plus « tranquille », « Testosterone » et sa six-cordes musclée semblaient alors davantage faire office de récréation que de possible nouvelle direction. Comme quoi, manifestement, l’heure de retourner en classe à l’école de Canterbury n’a toujours pas sonné. Et les symptomes se sont confirmés plus tard du côté de l’éclectique et tribale The Drums de My Jazzy Child.
Pourtant sur « Somewhere Safe », Centenaire n’a manifestement pas totalement appuyé sur la touche reset de son passé. On y décèle encore le goût pour les schémas alambiqués, le néant angoissant et l’expérimentation. Seulement, les errances psyché folk se sont transformées en fascinantes zones de turbulences entre noise et krautrock, avec pour lieux communs les totems du genre que sont Sonic Youth et This Heat. Le vrillé « 3Somewhere Safe », est à ce titre une jolie cierge déposée sur l’autel de Daydream Nation.
Tout en évitant soigneusement les poncifs du rock, Somewhere Safe célèbre les six-cordes sales et dissonnantes. Pas forcément plus puissantes, mais tendues et angulaires certainement. Bizarrement, on pense aussi beaucoup sur le quasi épique « Inside War » à …And You Will Know Us By The Trail of Dead , période Source Tags, and Codes, avant que les texans ne cèdent à l’emphase – le chant mélodieux et emporté de Damien Mingus doit y être pour quelque chose. Sur l’inaugural « Where to Go », des arpèges se dressent dans un immense dédale et nous indiquent la direction échappatoire à prendre, qui s’avèrera vaine. Car on n’échappe pas à cet étrange sentiment de perte de repères qui nous enveloppe tout au long de ce disque. Sensation à son paroxysme sur le morceau de résistance de l’album, le ténébreux « When It All Fell Dawn », une odyssée psychédélique où à mi-parcours sonne un réveil incandescent… mais encore une fois, plus dur sera la chute. Bonne nouvelle, les concerts d’appartements que Centenaire affectionnait tant, risquent de convier les voisins malgré eux.
En concert à la La Maroquinerie (Paris) le 28 Novembre, avec Rien et Aquaserge