Manuel Bienvenu et tous les musiciens du superbe album AMANUMA étaient aux Voûtes le 25 septembre dernier : nous avions la grande chance d’y être.
Les Voûtes sont presque interlopes tant elles semblent perdues et décalées dans ce quartier où de rutilantes banques et bibliothèque du 13ème arrondissement donnent légèrement la nausée. Assoiffés de beauté que nous étions, dans un décor de briques et de végétation presque sauvage, nous nous installâmes avec plaisir dans la cour joliment éclairée des Frigos en attendant le début du concert. Le soir du vendredi 25 septembre, l’air était encore et à nouveau doux en ce début d’automne et nous étions heureux de nous retrouver autour d’un très bon rougail-saucisse, excités de découvrir ce que donnerait le rassemblement tant attendu de onze excellents musiciens, venant parfois de loin pour interpréter (en deux sets : « Play » et « Replay »), AMANUMA brillant album sorti en février dernier.
Rappelons d’abord que le disque impliquait dix personnalités ayant chacun une vie musicale propre et a été produit sans vraiment de label grâce à l’ardeur renouvelée de Manuel Bienvenu qui en assura entièrement la post-production. Huit mois après sa sortie et parce que le désir de revenir à la musique avait trouvé le temps de murir au détour de concerts à taille réduite (en trio par exemple à l’Espace B ou en duo dans d’autres lieux parisiens ou belges), il était temps de passer à l’acte. A l’origine, la salle fut réservée pour trois musiciens, mais comme Charlie O. passait justement à Paris au même moment, alors les autres compères furent contactés qui ont miraculeusement pu se libérer pour cette date unique. Après avoir travaillé chacun de leur côté un scenario complet et des partitions réécrites avec soin par Manuel et bénéficiant d’une seule répétition et un filage, ils se retrouvent presque « à chaud » pour jouer cet album dense et complexe. On mesure la gageure de l’exercice en apprenant que les musiciens se sont parfois rencontrés pour la première fois pour l’occasion et se sont salués seulement après le premier set !
Le résultat de ces retrouvailles sur scène a dépassé largement nos espoirs, puisque une bourrasque de vitalité et de bonheur sonore nous furent joyeusement offerts pendant plus d’une heure trente. Intimité et chaleur nous attendaient sous la voûte avant même que les rythmiques ne démarrent. La mise en jambe fut instantanée et nous étions revenus en un temps mythique où les caves de jazz des grandes villes réchauffaient les esprits et les corps que la société du travail avait réfrigérés la journée durant. L’album a été rejoué sans être réinterprété, laissant peu de place à l’improvisation car l’écriture foisonnante du disque ne le permet que difficilement; mais les pointures que nous avons entendues ce soir-là ont su donner un souffle et une énergie nouvelle à l’original dans une interaction souple et libre, galvanisée par le plaisir de jouer ensemble. Deux batteurs toujours impeccables (Thierry Chompré et Jean Michel Pirès), pulsations subtiles de la soirée, Manuel Bienvenu, très concentré sur son orgue ou sa guitare, à la voix sage mais toujours tenue, Benoît Burello; avec ses lignes de basses intensément présentes, Paul-Marie Barbier, d’une dextérité stupéfiante au vibraphone, Charlie O. et son visage impassible très en forme à l’orgue hammond, Masayuki Ishii, venu de Tokyo pour l’occasion bluffant de virtuosité, Manuel Decocq et Colin Ozanne, alternant les duos à vents (saxophones, clarinette), prenant respectivement un violon ou un orgue; on entendit aussi une guitare à douze cordes manipulée avec brio par Yann Louineau. Tout ce beau monde enchaîna donc gracieusement les morceaux de l’album se baladant dans des contrées jazz, retrouvant bien souvent la liberté d’un Robert Wyatt, renouvelant une pop légère comme l’air mais toujours intelligente. Stéphane Rosière (écrivain), monta sur scène pour dire le texte de l’étrange et beau morceau « Café Gitane » nous emmenant à New York vivre une non-rencontre amoureuse, David Krutten posa sa voix sur deux chansons et enfin Albain Lutaud a cartonné sur le dernier morceau : un « Gut Feeling » de Devo, qui nous a donné une furieuse envie de rentrer chez soi en dansant.
Nous retrouvons le Patron Manuel Bienvenu après le concert pour qu’il nous raconte comment il a vécu cette soirée hors du commun. Il nous confie que le côté artisanal de cet évènement lui plaît infiniment et qu’il a été heureux de l’organiser aux petits oignons dans un des seuls endroits qui le permette à Paris. Il nous dit sa grande fierté et celle des musiciens d’avoir participé à l’aventure du disque et du concert qui savourent tous la valeur de ce moment unique ouvrant de nombreuses envies de futures rencontres musicales ne demandant qu’à être inventées. Il lâche un rêve dans les airs à la fin de la discussion : referait bien le même concert au Japon ; un pays où il a vécu et qu’il a quitté il y a quelques années, mais où la musique d’AMANUMA habite déjà un peu.
Manuel Bienvenu : orgues, guitare, voix
Thierry Chompré : batterie
Jean-Michel Pirès : batterie
Benoît Burello : basse, voix
Paul-Marie Barbier : vibraphone électronique
Masayuki Ishii (from Tokyo) : guitare électrique
Charlie O. : orgue hammond
Manuel Decocq : violon, voix, saxophone
Colin Ozanne : clarinette basse, orgue, saxophone
Yann Louineau : guitare acoustique douze cordes
Albain Lutaud : voix
Stéphane Rosière : lecture
Invité au chant : David Krutten
AMANUMA, album >
cd / double LP @ SPHERE LGSR
http://bit.do/amanushops