Une revue en accéléré d’albums : Hypo – Acid Mothers Temple – Innocent X – Strategy – Yuichiro Fujimoto – Zelienople
HYPO – RANDOM VENZIANO (Active Suspension)
On vous passera les détails de la bios de presse du nouvel album d’Hypo, projet d’Anthony Keyeux, qui tel un vengeur des opprimés est parti en guerre contre le mainstream et la médiocrité de l’industrie musicale ambiante. Ainsi, Random Veneziano se veut un album exemplaire, dans le sens donneur de leçon, revisitant, ingurgitant et fondant plusieurs styles (Classisisme kitch, pop jetable, noisy rock, electro hachée…) sous une seule entité. Le bonhomme possède un talent indéniable pour imbriquer des textures opposées les unes sur les autres afin d’aboutir à une mixture pertinente. Si la thématique « synthétique » est omniprésente et se pause en file conducteur du disque, plusieurs éléments extérieurs s’y entre crochent, à l’instar de l’usage de cordes compressées à la sauce noisy sur « Second Hand Kotva », qui rappelle à notre bon souvenir Loveless.
Hypo semble attraper une idée au vol et veut la fructifier même avant qu’elle ne disparaisse, ce qui donne à son univers une notion très forte de musique de l’instant volé. Résultat : on ressort d’abord épuisé – mais heureux au final – par cette surenchère d’effets. Le bordel règne un peu en maître sur les vingt plages de cette galette, mais il semble bien y avoir un « ordre dans ce désordre », comme qui dirait l’autre. Il faut faire donc son tri au bon milieu de ce sachet de pastilles colorées. Parfois, on ne sait pas trop où il veut en venir, et lui aussi d’ailleurs doit s’y perdre là-dedans, mais sa musique nous fait comme un grand bol d’air frais. Extrêmement riche, et donc à réécouter en boucle sans aucune lassitude.
Site officiel d’Hypo
Tracklist : Killed Banano / New World Menuet / Free Days / Serpentinouze / Mamabotutu / Relax Max MSP / The Pefect Kill / Rigoldrum / Do dDodar / Second Hand Kotva / Porn Potato / General Papa / Benny Björn Has Gone Forever / Instrumental (Vocal Version) / World Music / Rack Ham / Destino / The Lost Operette / Killed Banano (Disco Version) / Random Veneziano
INNOCENT X, HAUT/BAS (Label Bleu/Harmonia Mundi)
La sortie de ce disque n’est pas toute neuve et date de quelques mois, mais elle mérite qu’on s’y attarde, juste histoire de montrer qu’en France aussi on peut égrainer des atmosphères lourdes digne des maîtres US de l’après rock. Etrange combinaison que celle employée par ce trio français (deux guitares, une batterie), officiant sur Label Bleu, plutôt spécialisé dans le jazz. Innocent X, c’est son nom, possède une passion immodérée pour les six-cordes, si bien que le reste lui semble bien illusoire (une basse par exemple).
Sur ce premier album, des guitares portés par la nausée répètent à l’infini des schémas mélodiques qui ont pour unique but de porter jusqu’à son paroxysme une tension fiévreuse et pesante (« Asphalte », « haut-bas », « Mylène »). D’une précision presque chirurgicale, – ne pas se méfier au minimalisme des parties instrumentales, c’est du compact en barre auquel nous avons affaire – les sons utilisés sont rêches comme sur un disque de Sonic youth. On salue d’ailleurs le parti pris courageux de ce trio, dans un pays où poser les potards de la console de mixage dans le rouge relève du crime de lèse-majesté. On pense parfois au post-rocker de Chicago comme From Monument to Masses voire King Crimson, bref toute cette scène post-rock US qui nous fait tant de bien. Des titres comme « Haut/Bas », avec ses climats empruntés au proche orient, ou bien le silencieux -limite bluesy – « In Vitro » possèdent assez de mordant pour ne pas rabâcher des formules congelées, qui mal exécutées peuvent vite se révéler limitée.
PS : Juste une suggestion à nos amis, changer les titres des dernières chansons la prochaine fois, qui auraient tendance à couper l’envie et travailler le rêve (« Premier Baiser », « Oui », « Madame », « Mylène »). C’est important, les titres, quand même.
Site officiel
Tracklist : Asphalte, Carne, Haut/Bas, In Vitro, Morose, Justice Limite, Premier Baiser, Oui, Madame, Mylène
ACID MOTHERS TEMPLE, MANTRA OF LOVE (Alien 8/ Chronowax)
Des japonais barrés, il en est d’ailleurs question ici. Avec une discographie pléthorique dont il est bien difficile de suivre le feuilleton, avec pas moins de trois albums par an, ce collectif n’en finit pas d’explorer à travers des ambiances limites chamanistes et cauchemardesque les tréfonds de la conscience humaine. Leur second disque chez Alien 8 se veut toujours aussi effrayant. Deux morceaux à dompter en l’espace 45 minutes, voici le plat principal que nous propose le maestro, Mokoto Kawabata. Cela commence par un thème traditionnel qui s’étend tel un élastique sur près de trente minutes : entre incantations divines (ces « lo le lo lo » hypnotiques) et improvisations héritées des temps anciens, cette marche nuptiale semble invoquer l’armé des ténèbres. Glaçant tel un film de Kyioshi Kurosawa.
Le deuxième titre plus court (15 minutes quand même !) part dans des élucubrations plus contemporaines, toujours transporté par une Liz Frazer du soleil levant. L’écoute de ce disque se veut une expérience à part entière.
-Le site officiel
Tracklisting : 1. La Le Lo (Traditional) – 30:00
2. L ‘ Ambition dans le Miroir (Cotton/Kawabata/Tsuyama) – 15:02
STRATEGY, DRUMSOLO’S DELIGHT (Kranky)
Coincé dans une bulle de savon, Paul Dickow, le bonhomme qui se cache derrière le pseudo Strategy Trad : stratégie en français, si, si je vous promets ! ), doit adorer partir en vacance. Cet ancien batteur keupon et claviériste chez Fontanelle reconvertie dans le djing, publie ici un second album androido/aquatique. Son univers électro-ambiant possède cette fabuleuse particularité de nous propulser sur une plage de sable fin avec en arrière fond une batterie de cocotiers près à vous refaire le coup du clip Bounty.
Si l’on navigue toujours dans des eaux atmosphériques lounge, la musique du DJ reste assez chaleureuse très proche de l’univers d’un Fennezs, en tout cas moins frigide que ce que nous avons l’habitude d’entendre dans ce créneau plutôt « optuxpérimental » et tant convoité par les galeries d’art. Le bonhomme fait même une entorse à la rêgle en invitant un dénommé Caro (un protégé du label Orac de Seattle) à pousser sa voix noyée de Flanger sur « Walking Time ». Dépaysant, ce délice synthétique vous prédira un bon moment à passer sur un transat.
-Le site du label Kranky
Tracklisting : Cascadian Nights
Super Shewolf Inna City
Drumsolo’s Delight
Jazzy’s Dilemma
Final Super Zen
Walkingtime (featuring CARO)
The Jazzy Drumsolo
YUICHIRO FUJIMOTO – KOMOREBI (Smalltown Supersound/Chronowax)
Fraîche découverte de l’exigent label Smalltown Supersound, le premier album du japonais Yuichiro Fujimoto cultive l’harmonie entre electronica sereine et son héritage culturelle. Plus concret, la musique de ce chimiste à blouse blanche conjugue le minimalisme d’Eric Satie et Fennesz projetés sur de vieilles estampes japonaises. Dans son petit jardin personnel, les bonzaïs sont surélevés sur des plate-formes futuristes pensées par Moebius. On peut y entendre cette magnifique mélodie de l’eau bercée par des roseaux, glissant sur des cailloux centenaires, une véritable fontaine de jouvence.
Fujimoto rompt parfois ce silence mélodieux en incluant des sons insolites (clochettes et notes de piano répétitives), voire carrément enregistrer une chorale en prise direct sur le titre 11 (Les chansons sont écrites en japonais, d’où l’absence de tracklisting ci-dessous), égrainant ainsi des motifs attachants.
Accompagné d’un sublime livret constitué de photos et dessins de notre artisan, ce journal intimiste prolonge le sentiment d’apaisement perpétuel que procure cette musique. Un disque revigorant, qui vous fera marcher au ralenti au bon milieu de la jungle du bitume, si vous ne partez pas en vacance, bienvenu en tout cas.
-Site officiel
ZELIENOPLE, SLEEPER COACH (Loose Thread, en import)
Ce disque est un choc frontal et hantera vos nuits les plus troubles. Zelienople, quatuor de Chicago (patrie de l’après rock) en activité depuis la fin des années 90, s’est confié comme tache d’instaurer l’apesanteur dans votre salon sur son second disque. A la croisée du post-rock et de quelque chose qui ressemble à de l’ambient folk psychédélique, cette bande originale de 2001 l’odyssée de l’espace (à paraître en septembre) procure un sentiment d’espace constant, parfois menaçant, extrêmement puissant malgré ce parti pris du minimalisme.
Augmenté d’une voix lointaine, la peur du vide plane sur les dix plages de ce disque, un peu comme si vous flottiez comme pour la première fois dans l’espace, face à la terre. Plongé dans un noir absolu, la machine remonte le temps avec l’usage d’instruments inhabituels empruntés au folklore, ce qui lui donne une approche limite psychédélique au beau milieu de ce cauchemar contemplatif. On aurait tendance à les rapprocher des japonais guère terminés d’Acid Mothers Temple. Une chose est certaine, malgré le vertige, cette lune noire envoûte.
Site officiel