A la fois déroutant et fascinant, la dernière signature du label Kranky esquisse des phénomènes naturels à partir d’instruments rocks, jonglant entre tempête et accalmie. Un minimalisme ambient salutaire.


Avant tout, mention spéciale pour cette pochette qui nous ramène treize ans en arrière du temps du fabuleux premier album de Ride. En effet, les fans de l' »autre » grand groupe d’Oxford ne pourront se frotter à cette galette sans forcément avoir une pensée nostalgique pour Nowhere, sublime album précurseur de la vague Shoegazer qu’on a un peu tendance à oublier ces jours-ci. Pourtant, et même s’il s’agit aussi ici d’un premier album, la comparaison avec Ride s’arrête là.

Growing est un tout jeune trio américain originaire d’Olympia, ancienne ville industrielle aujourd’hui à l’abandon, qui a enfanté dans sa désuétude quelques loosers magnifiques que sont Kurt Cobain, The Beat Happening ou encore Sleater-Kinney. Rien que ça. Sky’s run into the sea, leur premier long format enregistré de manière artisanale, fait suite à un single vinyle sorti en 2002. Depuis un an, le trio tourne dans diverses salles de concerts et aussi dans quelques galeries d’art. Il faut dire que leur musique se prête plutôt bien a cet environnement « arty ». On retourne encore une fois vers cette pochette émblématique : l’image apaisante d’une mer d’huile qui nous plonge dans un bleu si profond qu’on ne parvient pas à distinguer la ligne d’horizon, perdue quelque part au beau milieu d’un brouillard mystérieux.

En parlant de mystère, un étrange voile se pose sur ce disque et son enveloppe. S’il n’y a pas vraiment de repaire mélodique ni rythmique évident chez Growing, on se laisse bercer par le chant lointain des six cordes. Cet univers sonique pourrait s’apparenter à celui de l’ambient, cher à Brian Eno, mais développé principalement à partir de guitares. Car les arpèges et autres montées en puissance si chères aux formations post-rock ne suivent pas les cheminements habituels chez Growing. Le larsen est poussé à ses retranchements : il devient l’instrument de prédilection.
Les strates de feedback sont soit apaisées, soit hostiles, mais sans jamais vraiment agresser l’auditeur non plus.
Une approche de l’intrument qui rappelle bien souvent les travaux de Keith Fullerton Whitman sur son album solo Playthoughts (sorti chez Kranky l’année dernière), mais en plus dense.

Les cinq plages – ou mouvements, à vous de voir – de Sky’s run into the sea sont parfois longues de quinze minutes et s’attachent à recréer un élément naturel. Parfois, le vent se lève, les nuages se font gris, une certaine intensité occupe l’espace, puis disparait mystérieusement aussi vite qu’elle a surgi.
« A painting », par exemple, retranscrit la succession des saisons, passant du froid hivernal à la chaleur étouffante d’un mois d’aout. « Pavement rich in gold » repose sur des loops glaciales de guitares imitant des gouttes d’eau s’écrasant sur le parterre. Point culminant de l’album, « Life in D/Tepsije » démarre sereinement, puis se métamorphose à mi-chemin en un souffle de distorsion développée sur la trame mélodique du « Norwegian Wood » des Fab four. Comme quoi on peut faire du post-rock et aimer les Beatles.

S’il est assez facile de reconnaître un artiste de chez Kranky, référence en matière de post-rock, il est moins évident pour les non-initiés de rentrer de plein pied sur ses terres sauvages, leur environnement en majorité déstructuré, demandant plusieurs écoutes. Tout ça pour vous dire que cet album n’est pas destiné à tout le monde (je secoue le cocotier des Stars of the lid maniacs!), mais le voyage en vaut la chandelle. Il n’empêche que Growing conforte Kranky dans sa position défricheuse du courant post-rock, loin, très loin devant la masse.

-Le site officiel de Growing, aussi statique que son environnement

-+ plus d’infos chez Kranky