Malgré six années d’existence, Death Cab for cutie ne semble récolter les fruits de son labeur en Europe que depuis la sortie de leur magnifique quatrième album, Transatlanticism, imposant tour de force où les guitares sophistiquées se taillent la part du lion avec les mélodies en apesanteur de Ben Gibbard. Entretien à vif derrière une balance assourdissante…


Il est 19 h 00 au Glaza’rt. Dans quelques heures les Death Cab for Cutie monteront pour la première fois sur une scène française. Votre serviteur pense avoir rendez-vous avec le front man Ben Gibbard, également une des figures les plus marquantes de l’actuelle scène rock alternative US. Mais c’est finalement avec frustration que j’apprends que le rencard est prévu avec le bassiste Nicholas Harmer. Après quelques arrangements et une bonne dose de culpabilité de la part de votre serviteur, le sympathique bassiste comprend la situation et nous arrange le coup avec Ben. Encore mille excuses Nick…

Jeune homme serein et disponible, la voix de DCFC nous répond avec une modestie embarrassante, reformule régulièrement ses phrases pour exprimer au mieux ses sentiments, au risque parfois de s’embrouiller, puis retrouve son chemin…

Comment s’est formé le groupe ?


Ben Gibbard : J’avais 22 ans en 1998 lorsque j’ai formé Death Cab for Cutie. Au départ, j’ai commencé en tant que projet solo et puis j’ai rencontré Chris Walla (guitariste). Nous avons commencé à faire circuler une démo dans le milieu indépendant et de fil en aiguille d’autres musiciens sont arrivés progressivement pour consolider le groupe. Plus nous faisions de concerts et plus Death Cab for Cutie prenait un sens.

Mis à part toi et Chris, est-ce que le line up a beaucoup évolué au fil du temps ?


Oui ! Nous avons déjà eu quatre batteurs au sein du groupe . Il y a un petit côté Spinal Tap je l’avoue. Chacun a sa propre histoire, mais le premier batteur est parti parce que ça ne l’intéressait pas de passer sa vie à tourner dans un van, et puis nous étions toujours à l’université. Nous avons eu également d’autres batteurs dans une période plus courte, mais cela n’a jamais vraiment bien fonctionné. Jason (Mc Gerr) est notre nouveau batteur. Nous le connaissons depuis 10 ans et nous savions que ce serait le bon choix.

Quel était l’objectif du groupe avant de rentrer en studio ?

Je pense que pour chaque album nous avons toujours eu une poignée de chansons auxquelles nous travaillions tous ensemble. Chris avait des idées sur la manière dont nous pouvions enregistrer ensemble sur ce disque. Pour tout dire, nous savions ce que nous voulions faire au début de l’enregistrement, mais nous ne savions pas comment tout cela allait aboutir. En fait, je ne peux pas vraiment dire que nous avions en tête une idée très précise sur le genre d’album à faire, mais nous voulions aboutir à quelques chose de solide. Cet album s’est peut-être réalisé par accident en fin de compte.

Transatlanticism ressemble tout de même à une collection de chansons imparables…

Merci du compliment. Je pense que le groupe s’améliore avec le temps. Au départ, nous avions le choix entre 25 chansons pour l’album : plus vous avez de chansons en stock, plus vous avez d’idées et de chances d’aboutir à un bon résultat. Pour les albums précédents, nous avions juste assez de morceaux pour terminer le disque. Si l’une ne fonctionnait pas vraiment, nous la mettions quand même sur l’album parce que nous n’avions pas le choix, faute de quantité. Cette fois, nous étions vraiment conscients que nous avions un stock conséquent à notre disposition.

Les chansons semblent également plus évidentes qu’auparavant…

Ce n’était pas nécessairement conscient. Peut-être qu’auparavant j’étais épouvanté à l’idée de faire une musique pop très directe. J’ai toujours voulu faire une musique colérique et bizarre. Sur cet album, si quelque chose sonnait bien et d’une manière immédiate, nous laissions la chanson telle quelle. Notre but était juste de faire la meilleur pop-song possible, à notre modeste échelle.

Vous évoluez dans un créneau qui est quand même assez différent de ce que l’on peut entendre à l’heure actuelle. Le revival garage prône plutôt un minimum de production et des chansons pas vraiment épiques…

Yeah ! Nous avons trouvé un terme pour définir notre son par rapport au revival garage. C’est plus une blague qu’autre chose. Tu connais la musique progressive, le prog-rock ? OK, et bien Chris émet la théorie comme quoi certains garage bands font de l' »agressive-rock » ou du « regressif-rock », en réaction à la musique progressive ! D’une certaine manière, c’est une façon de revenir à des choses plus régressives et instinctives. Vous savez, c’est incroyablement facile de créer un wall of sound. Tu as juste besoin d’empiler des dizaines de guitares sur le même morceau et vous obtenez un son énorme. De mon côté, je pense que c’est bien plus intéressant de créer quelque chose de sauvage et riche, sans avoir besoin d’utiliser une tonne d’instruments.

Il-y-a-t-il des groupes dont vous vous sentez proche?

Il y a des groupes dont nous envions la manière dont ils ont géré leur carrière. Nous avons toujours été de grand fans de REM, des Flaming Lips, Talk Talk – leurs derniers albums sont parmi mes disques préférés -, les Red House Painters aussi. Il y a des groupes que nous apprécions et avec qui nous avons tourné, mais ceux qui nous intéressent sont plutôt ceux qui ont su faire progresser leur musique. Ce sont des modèles qui nous montrent la voie et nous prouvent que nous pouvons faire la musique que l’on aime sans pour autant faire des concessions. Si on peut emprunter un petit quelque chose de leur parcours, pour en faire bon usage, c’est super.

La carrière du groupe semble croissante depuis vos débuts. Vous commencez également à avoir du succès en Europe. Comment prenez-vous tout cela ?

Et bien… C’est devenu vraiment étrange. Les gens et journalistes autour de nous disent : « wow, vous êtes devenus tellement populaires maintenant ! ». Nous avons joué en Espagne ou dans des endroits qui avaient la capacité de remplir 1000 personnes, d’autres où il y avait 300 personnes et puis on se retrouve le lendemain dans des clubs plus petits. C’est très étrange. Une chose est sûre, c’est seulement en tournée que l’on peut sentir que le groupe commence à devenir plus populaire, parce qu’il y a de plus en plus de gens qui viennent aux concerts et c’est génial. Mais tout est lié à la manière dont nous envisageons la musique : faire du mieux que l’on peut à chaque album et faire en sorte que la qualité soit encore plus grande chaque fois. Je pense que finalement, c’est ce qui compte le plus pour nous.

Quelle est la prochaine étape alors?

Je ne sais pas vraiment ce que sera la prochaine étape ou ce que nous devrions faire maintenant. Bien sûr, les majors nous sollicitent plus que jamais, mais nous nous en moquons, même si nous trouvons cela flatteur.

Pourquoi avoir sorti Transatlanticism sous le format SACD ?

Chris Walla est très fan du format super audio. Nous savions que Barsuk voulait sortir l’album en vinyle, mais cela revenait très cher. Et puis Chris a proposé : « Au lieu de sortir l’album en 33t, pourquoi ne pas utiliser le budget pour sortir le disque en SACD ?« .

En terme financier, c’est plutôt paradoxal !

Tout à fait, cela revient moins cher de sortir un disque en SACD plutôt qu’un vinyle de 180 inch. Nous avons rencontré des spécialistes et ils ont tout de suite été très serviables et disponibles. Pour presque rien, ils nous ont beaucoup épaulé pour le mastering et tout ce qui tourne autour. Nous ne sommes peut-être pas le premier groupe de rock à sortir un disque sous ce format, mais nous sommes le premier groupe de rock indépendant à le faire (NDLR : les Super Fury Animals l’ont fait avant, mais sont chez Epic). Nous en avons pressés environ 2000 exemplaires et cela sonne extrêmement bien, mais je suis assez surpris que les gens l’achètent, peut-être parce que moi-même je n’ai pas de SACD player chez moi !

Peux-tu m’ expliquer le titre de l’album, Transatlanticism ?

J’ai écrit la chanson « Transatlanticism », et aussi loin que je me rappelle, je voulais évoquer l’océan et jouer sur cette métaphore. Pour moi, le mot a émergé durant les dernières élections dans un contexte social-politique très rude, et reflétait la manière dont les gens interprétaient les évènements selon leur culture ou environnement.
Mais le terme peut avoir un contexte plus large et peut évoquer l’immense barrière qui peut exister entre les personnes. Ça peut aller de la distance sociale, physique voir même émotionnelle, n’importe quoi qui pourrait en fait connecter les gens avec les autres. Je pensais aussi qu’avoir un océan entre chaque personne représenterait bien l’idée : si tu vas au bord de mer, tu ne peux pas voir l’autre rive, tu ne vois que l’horizon. Cela symbolise bien le côté dépressif et défaitiste de la démarche.

Vos paroles sont assez cinématographiques dans le sens où elles sont souvent liées à un contexte particulier selon l’endroit et la situation qui en émerge. Je pense à « The New Year » en particulier… Est-ce que vous prenez beaucoup de soin à réaliser ces petites saynètes ?

Je veux que mes chansons touchent l’auditeur et qu’elles soient développées aussi bien que possible dans le texte. Je suis un grand de fan de films et j’aime par exemple l’approche de Woody Allen qui parvient à créer son propre monde inspiré des choses de la vie réelle. Tu recrées des scènes dont tu peux contrôler le destin, chose que tu ne peux évidemment pas faire dans la vie réelle. C’est une sorte de collision que je conduis, parce que c’est une histoire que j’élabore seul dans ma chambre et que je peux à ma guise terminer en bien ou non.

Parlons maintenant du Postal Service. Est-ce que le fait d’enregistrer un disque avec Jimmy Tamborello a remis en question ta façon de travailler au sein de Death Cab For Cutie ?

Travailler avec Jimmy a été super. Il m’a envoyé quelques longues plages de musique instrumentale que j’ai tenté de retravailler et faire en sorte à aboutir à une certaine cohésion d’ensemble. Mais je pense pas qu’on puisse comparer le travail effectué avec Postal Service et Death Cab for Cutie, les deux sont très différents.
Avec Jimmy, j’ai passé beaucoup plus de temps à travailler sur mon ordinateur plutôt qu’à en perdre en essayant de monter une tournée et tout le reste qui va avec lorsque tu es dans un groupe. Il n’y avait qu’un seul centre d’intérêt, c’était la musique, rien de mathématique dans la démarche. Et puis vous comprenez, avec Death Cab nous enregistrons tout en analogue, je n’avais encore jamais utilisé un ordinateur pour faire de la musique ! Travailler de cette manière m’a permis d’acquérir une certaine habileté et de faire fonctionner différemment mon cerveau. J’ai vraiment passé un bon moment.

A côté de cela, le succès de l’album m’a paru très excessif, nous avons vendu beaucoup d’albums et touché une audience mainstream. Voyez-vous, Postal Service n’est pas un groupe, c’est juste deux amis qui ont trouvé un peu de temps pour faire un disque. Nous n’avons rien fait pour que tout cela nous tombe dessus.

Ce doit être une position assez particulière que d’être plus célèbre avec un side-project plutôt qu’avec son propre groupe…

Et bien… Le Postal Service est plus connu en terme de chiffres, mais Transatlanticism a vendu aux Etats-Unis deux fois plus que l’album précédent de Death Cab for Cutie. Give Up est juste un disque très accessible de « Poppy dance music », nous n’avons rien inventé de nouveau. Dans les années 80, les artistes écrivaient des pop songs et après les remixaient pour accéder aux charts. Dans les années 90, la musique électronique était jugée peu commerciale et destinée une petite minorité. Il est marrant de constater qu’elle touche désormais un public très large.

Comment ont réagi les membres de Death Cab par rapport au Postal Service, y-a-t-il eu des pressions internes au sein du groupe ?

Non, chaque membre du groupe a été impliqué, d’une certaine manière, dans le Postal Service. Chris et moi avons travaillé sur le disque, et puis Nick (Hamer, bassiste de DCFC) est parti en tournée avec nous. Nous sommes tous amis dans le groupe… (silence)
Si j’avais joué avec un autre groupe cela aurait peut-être signifié pour les autres « allez vous faire foutre, je veux m’amuser… » Mais sérieusement, je m’en contrefiche de tout cela. C’est super que le Postal Service ait autant de succès, mais cela ne va pas re-déterminer mes priorités pour autant, et tout les autres membres le savent.

Est-ce que tu es sollicité par d’autres groupes ou aimerais-tu écrire des chansons pour un artiste?

Pas vraiment, je vais peut-être faire quelque chose avecStyrofoom (chez Morr Music), mais je n’ai rien d’autre de prévu. Ce serait vraiment amusant d’écrire des chansons pour quelqu’un d’autre, je ferais alors un disque très rétro, genre rock n’roll pour les radios (rire !). Je prendrai sûrement beaucoup de plaisir à le faire.

Que vous inspire la France, connaissez-vous quelques artistes de chez nous ?

Je ne vois pas vraiment d’artistes français qui me reviennent en tête là…

Peut-être Air…

Air bien sûr ! Ils font des choses vraiment incroyables. Ma copine a acheté un disque français d’une artiste récemment, Clémentine quelque chose… mais je ne m’en souviens plus (NDLR : après lui avoir récité la moitié du bottin indé français, impossible de se souvenir du disque, je lache l’affaire).

En ce qui concerne votre pays, les relations entre la France et les Etats Unis ne sont pas au beau fixe en ce moment. Il semble que nous ayons deux cultures très fortes qui partent chacune de son côté. Et malheureusement, je pense que chacun veut conserver cette culture, spécialement aux Etats Unis où c’est très dur de percer pour les artistes français.

D’un point de vue mondial, les Etats-Unis ont la vie dure en ce moment par rapport à la politique de Georges Bush…

Tous les Américains ne ressemblent pas à Georges Bush… Je pense que chaque nouvelle action du gouvernement se répercute directement sur le pays et dans le monde entier. Tu sais, les gens ont tendance à ne se préoccuper que de leur petite personne et ne regardent pas ce qui se passe autour d’eux dans le monde. Ils ne voyagent pas et n’expérimentent pas d’autres cultures. Je pense que le gouvernement de Bush tend vers cette démarche. Nous sommes en Europe en ce moment et c’est à la fois embarrassant et horrible de réaliser combien les Etats-Unis sont détestés par le reste du monde.
J’espère que les gens réalisent que si Bush est notre président, il ne représente pas pour autant tous les Américains. En comparaison, Clinton n’était pas un bon président, mais c’était un bon diplomate. Il était capable de représenter dignement notre pays en tant que super-puissance. Je ne pense pas que Georges Bush soit le diable, mais cela y ressemble tout de même.

Il y a toujours en Europe cette relation haine/amour envers les Etats Unis, car vous véhiculez une culture très forte via la musique et le cinéma, mais en même temps il y a aussi ce capitalisme dominant (Mac Donald, ect) qui effraie beaucoup de gens.

C’est vrai. Le capitalisme apporte beaucoup de choses formidables et horribles en même temps. Nous vivons dans un pays si gigantesque où les visions et opinions de chacun diffèrent à chaque coin de rue. Je suis très fier d’être américain mais je reconnais le fait qu’il y a aussi de fortes raisons pour que le gens détestent notre pays. J’espère juste qu’ils réalisent que notre groupe ne représente pas l’administration qui est actuellement en place.
Nous avons fait un concert en Allemagne et il y avait au fond de la salle des G.I qui se saoulaient la gueule et n’arrêtaient pas d’hurler et dire des conneries. La seule chose qui me passait par la tête durant tout le show, c’était de leur dire « mais fermez votre gueule ! ». Ils m’ont vraiment rendu mal à l’aise. Quand nous voyageons dans un pays, nous essayons de respecter sa culture et ses valeurs.

Ok, on va terminer sur quelque chose de plus léger ! Peux-tu me donner tes cinq albums préférés de tous les temps ?

Voyons…
Teenage Fanclub, Bandwagonesque
Red House Painters, Rollercoaster
Il y a les Beatles aussi, mais c’est trop facile, attends, je me creuse un peu plus la tête.
Le Velvet Underground l’album où il y a la chanson « Candy Says » (troisième album éponyme)
Jawbreaker, 24 hour Revenge Therapy.
En ce moment Wild Planet des B 52’s est un de mes albums préférés, j’adore les premiers albums, ils étaient vraiment barrés. C’est du « fun » à l’état pur.

– La chronique de Transatlanticism
– La chronique du Postal Service
– Le site du groupe chez Barsuk