Révélée par l’inusable Reckless Burning, Jesse Sykes rejoue la carte d’une musique en cinémascope sur Oh my girl. Un deuxième album déjà précieux qui s’écoute du lever au coucher sans modération. Fortes émotions garanties.


Entre mystère et sensualité, Oh my girl traverse le grand ouest américain au ralenti. De ces ballades folk-country, Jesse Sykes à l’instar de ses cousines Paula Frazer, Edith Frost ou Mary Gauthier s’immerge des racines américaines pour mieux en imprégner sa musique. Heureuse de partager sa passion, elle nous ouvre ses trésors et nous laisse découvrir ébahis la richesse de son chant, l’éclat des mélodies, la vibration des guitares réverbérées.

Au contact de ces joyaux ressurgissent de nos mémoires les moments d’une vie qui nous émeuvent, le lever de soleil qui évoque une éclaircie, la chaleur du sable sous les pieds, le regard complice d’un enfant, autant d’événements qui laissent une marque profonde dans nos esprits.

Peu d’albums transportent en leur sein ce pouvoir d’évocation qui emmène l’auditeur en apesanteur et le dépose délicatement, enveloppé dans un sentiment de bien-être. Touché par la grâce de la voix de Jesse Sykes, dont le grain de voix est à rapprocher de celui de Marianne Faithfull en moins enrayé, chaque mot est entonné avec simplicité tout en maintenant une intensité qui laisserait rêveuses toutes les castafiores de service qui se détachent le palais pour faire vrai. Chez Jesse Sykes, la voix reste naturelle, sans artifice ni réserve, allant chercher au plus profond du corps la force qui donne aux compositions son amplitude.

A cette mise à nu palpable s’ajoute une orchestration discrète qui évite tous les excès de gras et d’arrangements sophistiqués. Produit par l’homme de Mount Analog, Tucker Martine, qui en connaît un rayon quant à l’utilisation de l’espace des instruments (Bill Frisell, Laura Veirs, Jim White, Modest Mouse, Sanford Arms), comme pour son prédécesseur Reckless Burning l’option cinémascope a été choisie. Le son réverbéré de la guitare de Phil Wandscher se propage dans l’air pour venir défier en duel les cuivres pour une partition tout en écho que ne renierait pas le maître italien du western Sergio Leone.

Tout en souplesse et légèreté, des titres comme « Oh my girl », « Your eyes told », « The dreaming dead » épousent chaque recoin de la pièce où l’auditeur assis sur son sofa se voit somnoler sur un rocking-chair jetant de brefs coups d’oeil admiratifs sur l’étendue de son ranch. Plus on avance dans l’album, plus on s’aventure sur des pistes non balisées. Lors de ces ballades, on croisera des personnages tourmentés (« Troubled soul »), des lieux magiques (« House by the lake »), une nature sauvage (« Birds over water »), tant de rencontres mystérieuses qui alimentent le côté intriguant et sensuel de la musique des Sweet Hereafter, backing band de l’américaine.

Si on croise l’étrange sur « Winter hunter » c’est pour mieux entendre les blessures de l’âme. Tout est ici dévoilé sans fausse pudeur pour ne retenir que la beauté naturelle, les sentiments purs, un coeur qui saigne à force d’aimer des hommes avares d’affection.

Pourtant, le côté nostalgique de l’album n’emporte pas l’atmosphère générale vers des lieux pour neurasthéniques. On penchera plus vers la mélancolie qui rend l’humeur songeuse et non triste. Jesse Sykes fait partie de ces artistes qui n’ont pas peur de se livrer ou de cacher leurs larmes, la musique étant là pour apaiser et libérer les inquiétudes passagères. Le grand air s’engouffre dans les chansons et chasse d’une voix exorcisant le mal être. Le dépaysement devient alors un refuge précieux pour tous les rêveurs à l’âme de poète.

Aux côtés de Mark Olson et Victoria Williams, Jesse Sykes nous apparaît alors comme le meilleur guide pour nous faire partager l’Amérique qui aime le blues et Faulkner plus que George W. Bush.

-Le site de Jesse Sykes