En amateurs inconditionnels du songwriter canadien, nous nous attendions à une excellente livraison de plus, mais voilà que ce fourbe nous prend par surprise avec un pur chef-d’oeuvre.


Ron Sexsmith…, quel nom génial tout de même, rien que le fait de le prononcer à haute voix, cela sonne tout de suite légendaire ! Etonnament, voilà le genre d’artiste dont on attend impatiemment chaque sortie d’album mais que l’on omet toujours cruellement de citer parmi nos albums préférés de l’année. Allez savoir pourquoi.
Et pourtant, depuis près de dix ans, le canadien pond avec une régularité confondante des albums de pop à l’excellence rare et dont la critique salue tout aussi ponctuellement le génie. Depuis son second album, Ron Sexsmith en 1995, ce grand bonhomme à l’éternelle allure d’adolescent mal dans sa peau, empile des compositions mêlant la finesse mélodique d’un Costello et l’élégance folk d’un Tim Hardin. Un pur régal pour les amateurs de pop exigeante.

En vérité, Ron Sexsmith fait partie des meubles. Pour les inconditionnels, sa place dans la pop musique est tellement évidente qu’on en oublie presque sa présence : un peu comme lorsqu’on évoque ses plats préférés et qu’on ne mentionne pas les bons petits plats de grand-maman. Cette cuisine-là nous est tellement familière…
Mais depuis qu’Elliott Smith nous a quitté, il faut avouer que des songwriters de cette trempe ne courent pas les rues, aussi notre besoin d’affection s’accentue : on prend un peu plus conscience de l’importance de cette race singulière de musicien troubadour, amoureux d’une prose musicale très riche et dénué d’ambition « vénale ».

En 2002, son cinquième disque Cobblestone Runaway renouait avec la fragilité de Whereabouts (1999), après un Blueboy (2001) produit par Steve Earle qui nous présentait Sexsmith s’essayant à un son plus rêche et électrique. Cette fois, notre songwriter renoue sa collaboration avec Martin Terefe, le producteur de son album précédent, et s’est adjoint les services de quelques guest-stars de haute-volée : le prodige Ed Harcourt a confectionné la plupart des parties de piano et la base rythmique des multi-platines Travis est venue consolider quelques nouveaux titres également.

Mais le grand changement sur ce sixième album, c’est surtout le songwriting du maître. Là où l’on s’attendait à un nouvel album dans la digne lignée de ses prédécesseurs, Sexsmith vient de surélever prodigieusement son art. « Je suis enfin arrivé à composer un vrai refrain », s’exclame-t-il dans la bio de presse. On ne le contredira point. Le canadien explose ses complexes et n’a plus aucune pudeur à composer des refrains dignes de ce nom : Retriever regorge de chansons irrésistibles qui vous trottent dans la tête dès la première écoute. Un véritable exploit tout de même de la part de ce songwriter réputé d’une timidité maladive.

Disséminés méticuleusement aux quatre coins du disque, Retriever (nom donné au chien du chasseur qui va chercher le gibier) contient quelques purs joyaux pop dont ne renieraient pas les pontes de la power pop seventies via  » Happiness » ou « Imaginary Friends ». Le piano d’Harcourt fait également des merveilles sur des bleuettes sentimentales comme « Tomorrow in her Eyes » et autres chants plaintifs seul avec sa guitare, qui sont devenus sa véritable spécialité.
Quelques tempos plus relevés viennent se greffer à l’ensemble, histoire de casser un peu la routine et contribuent à ne pas perdre le fil de l’écoute, si j’ose dire (« Whishing Wells », « From Now On »). Petite révolution également, « Not about to loose » est certainement le tube potentiel qui a toujours fait défaut jusqu’alors sur les albums de ce grand monsieur. Peut-être lui permettra-t-il d’élargir enfin son audience. On l’espère de tout coeur.

Toujours avec ce sens pointu de la dérision, il nous raconte ses petits malheurs qui continuent à s’acharner sur lui, tel un petit nuage gris qui ne cesse de tourner autour de sa tête. C’est peut-être pour cela que ses chansons nous donnent l’impression d’être toujours marquées par la saison d’Automne alors que le mois de mai pointe déjà le bout de son nez.

Une bien belle surprise et son album le plus accessible, le plus varié, tout simplement son meilleur. A bon entendeur…

-La chronique de Cobblestone Runaway

-Le site officiel de Ron Sexsmith