Au milieu de ses compositions touffues, les klaxons de la joie développent des mélodies sereines, digne d’un Brian Wilson « souriant ». On se croirait à l’arrivée du tour de France.


Enfermé dans son laboratoire loufoque, Aaron Deer conçoit des chansons qui ne correspondent en rien aux canons de la pop musique du XXIeme sicèle, du moins dominante. Probablement enfermé dans une capsule cryogénique ces 25 dernières années, le musicien qui se cache derrière The Horns of Happiness semble en avoir gardé de sérieuses séquelles de son hibernation. Ce deuxième album signé chez Secretly Canadian, fabuleuse auberge d’accueil abritant quelques-uns des songwriters les plus originaux du pays décadent de Bush, tente de réhabiliter le concept de l’avant-garde pop fin 60’s, au même titre que ses illustres prédécesseurs The United States of America, Beach Boys ou Syd Barrett. Remarquez, on ne peut pas lui en valoir à un tel mutisme, car quelques unes des plus belles pages de la pop musique y ont été écrites à ce moment là.

Epaulé sporadiquement par ses collègues de label de The Impossible Shape, Chris Barth (voix et la batterie), Jason Groth (lap Steel, saxophone), Peter King (guitare, batterie), Deer compose une musique très mélodieuse, la plupart du temps déstructurée et riche de références. Et à vrai dire, on retrouve sur A sea of Shore un peu le bordel grandiose du Smile de Brian Wilson, une sorte d’oeuvre en perpétuel chantier, à la fois fascinante et déconcertante.

Pour se faire une idée, on conseillera d’ écouter en priorité « Under A Dim Light », une mini-symphonie alternant les passages orchestrés multipliant des interludes champêtres (trompette, banjo, bruitages…) et rythmé par des claquements de main. Nous avons même droit à une chanson schizophrénique (« Bursting Breathe »), digne des instants les plus barrés du chef du concept album inachevé du maître des Beach Boys.

Dans le même ordre d’idée, on pense aussi beaucoup au chef d’oeuvre décousu de Van Dyke Parks, (Song Cycle) pour l’utilisation de ces vignettes mélodieuses instantanées, concentrant un maximum d’idée tout en ne dépassant parfois pas plus d’une minute. Le plus remarquable, c’est que le résultat ne reste étonnement aboutit, voire cohérent. De véritables pop-songs sont nichées ça et là, comme « White Snow », jolie ballade accompagnée au banjo. Les mélodies savoureuses et bancales de « Autumn Breathes East », démontrent que l’homme maîtrise parfaitement sa barque, et que le résultat va au-delà du simple assemblage de sonorités.

Oeuvre dense, A sea of Shore peint des climats variés qui se succèdent de manière aléatoire : intempéries symphoniques, rayons de soleil champêtre, ballade enneigée, suggérée elle-même par les titres (« Autumn Breathes East », « White Snow », « Bursting Breathe »…). Aucune trace de civilisation urbaine ne vient écorcher ce paysage en hommage au psychédélisme utopique 60’s.

On retrouve aussi les sonorités timides de Rock Bottom, de longues plages lentes et répétitives, comme sur le titre d’ouverture « Joyous Laughing Wake ». Tout comme le disque de Robert Wyatt, A sea of Shore procure un charme singulier, une sorte de sentiment continuel de douceur un peu perturbée, un mal à l’aise qui ne brusque pas, mais laisse l’auditeur dans le doute.

Le dernier titre se clôt sur un thème ambiant qui – si l’on branche la touche repeat – revient sur motif d’intro de la première chanson, le disque semble donc s’écouter à l’infini. Autant dire que l’on peut se laisser berner pendant encore un sacré moment par ce disque touchant et profondément humain, ce qui n’est pas une mince affaire en ces temps de grisaille économique et de mélodie de marché.

-Le site du groupe sur Secretly Canadian