Ecouter Mark Eitzel parler ou plutôt chuchoter a quelque chose d’intime. L’homme vous parle de sa vie, de son enfance entre une mère française née à Bayonne et un père militaire qui balançait de ville en ville influença le mode de vie du chanteur. Embarrassé, on s’immisce malgré nous dans sa vie racontée avec pudeur, les relations autrefois entretenues avec son père, la découverte de l’Europe et de sa culture économique, politique et artistique, l’Amérique entre attirance et dégoût.


Toutes ces expériences ont nourri et continuent à nourrir la musique de Mark Eitzel que ce soit au sein du groupe American Music Club ou en solo.

Tiraillé entre deux mondes, l’un où la solitude semble lui coller à la peau, l’autre où tout repose sur la complicité, Mark Eitzel conçoit son œuvre comme une seule route entravée d’embûches qui se construit chaque matin et se prolonge le plus loin possible.

LA REFORMATION


Il y a quatre ans, lors d’un voyage à Los Angeles, j’ai parlé à Vudi (guitariste de American Music Club – Ndlr) d’une possible reformation de American Music Club. Il était intéressé par l’idée. Vudi est aujourd’hui conducteur de bus à Los Angeles, il n’a pas beaucoup de temps libre mais dès qu’il a un peu de vacances, il les consacre au groupe. Il sera présent lors de notre tournée en France mais je pense que c’est difficile pour lui de quitter son boulot et sa famille.

Il y a deux ans, Tim (Tim Mooney, batteur de American Music Club – Ndlr) m’a appelé pour me dire qu’il avait créé son studio d’enregistrement. A l’époque j’habitais Chicago, et comme je devais aller à San Francisco pour une soirée, j’en ai profité pour faire un saut au studio.

Je suis venu habiter Chicago parce que je voulais changer d’air, j’en avais un peu marre de San Francisco. Une fois arrivé dans cette ville, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas de scène locale, du moins je n’en ai pas trouvé, que les gens étaient assez agressifs. En général, il faut un peu moins d’un an pour appréhender et apprécier l’ambiance d’une ville mais pour moi je ne m’y suis jamais acclimaté. Aussi, je suis revenu à San Francisco.


LA CARRIERE SOLO


Je ne vois pas de différence entre mes albums solo et ceux au sein de American Music Club. Je suis avant tout un compositeur, j’écris des chansons. L’avantage avec un groupe est de jouer avec des gens qui connaissent et comprennent mes idées musicales. Le problème est financier, ça coûte plus cher de gérer un groupe qu’une personne.

Au delà de l’aspect musical, la reformation de American Music Club a aussi des raisons économiques. Ma carrière solo n’est pas des plus fructifiantes et si avec le groupe on peut gagner un peu d’argent on ne crachera pas dessus. Honnêtement, même si l’aspect financier n’est pas à négliger, je me suis polarisé plus sur le côté artistique de l’album. Je devais faire ce disque à Chicago avec le groupe avec qui je jouais et un certain Jay Bennett. Nous avions enregistré sept chansons mais lorsque je suis rentré à San Francisco j’ai senti que l’album sonnerait mieux dans les mains de American Music Club. On a plus de chance de vendre un bon disque que des chansons moins abouties.

Je n’ai jamais eu un groupe aussi bon que American Music Club depuis dix ans. Je ne dénigre pas mes albums solo, au contraire je les adore ; The invisible man ou 60 watt silver lining sont mes préférés. J’utilise la même manière d’écrire que ce soit pour mes œuvres personnelles ou pour le groupe mais les chansons semblent sonner différemment avec American Music Club.

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LOVE SONGS FOR PATRIOTS


En Amérique, si tu n’es pas d’accord avec le gouvernement tu es catalogué comme un traître. Le titre de l’album a quelque chose aussi de stupide, j’aime bien les noms qui ne veulent rien dire comme ceux des albums des années cinquante.

Je pense que l’Amérique est en train de devenir le plus grand pays fasciste au monde.
Les démocrates, même si leur programme n’est pas très clair, sont assez différents des républicains. Mais la situation aujourd’hui dans mon pays est la même que celle qu’il y avait en Italie avant l’avènement du fascisme. Le gouvernement et les corporations travaillaient main dans la main. Et j’ai bien l’impression que le peuple américain cautionne ce futur état fasciste.

Je me sens impliqué dans la vie politique du pays car il faut avoir de l’espoir, croire en des jours futurs meilleurs. Mais, le fait d’être musicien et d’avoir accès aux médias ne changent pas l’opinion des gens tout simplement parce que les gens ne s’intéressent plus à la musique ou n’écoutent plus de la musique. Ils achètent des jeux vidéos mais pas de musique. Ils téléchargent les chansons qu’ils souhaitent entendre mais n’en achètent plus. Je trouve ça très bien car les personnes pauvres peuvent aussi avoir accès grâce à internet à la musique. Mais le jour où Microsoft décidera que la musique n’est plus gratuite sur internet ça va faire mal. De plus, il ne faut pas se leurrer, par l’intermédiaire de la musique gratuite, les compagnies d’informatique vendent des ordinateurs et autres produits dérivés. La musique gratuite sur internet est un bon moteur pour l’industrie informatique.

La musique est devenue un bien de consommation sans grande valeur. Je ne pense pas que les gens perçoivent la musique comme quelque chose qui changera leur vie, d’ailleurs ils s’en foutent. Les gamins achètent aujourd’hui les trucs qui cartonnent sur le marché comme Britney Spears ou Eminem ou des trucs qui ont plus de dix ans comme Nirvana. Tous les disques qui ne bénéficient pas de campagnes publicitaires importantes sont ignorés. Je ne suis pas désespéré par la situation, je suis juste réaliste. Regarde, toutes les majors ou moyennes maisons de disques ont des résultats catastrophiques et en profitent pour virer des employés et les artistes qui ne vendent pas assez.

Un disque coûte cher, aussi les musiciens doivent se préparer à faire des albums pour pratiquement rien. Si tu n’as pas ton studio d’enregistrement, que tu n’es pas ton propre producteur, avec le peu de vente d’albums à moins d’être correctement distribué, tu ne gagnes pas d’argent. Dans quelques temps, le style de musique que je fais disparaîtra, il ne restera plus que le hip hop et le punk rock. Peu importe le style, mais pour ce genre de musique, tu n’as guère besoin de plus de quatre pistes mais enregistrer une guitare acoustique, une batterie, un orchestre de cordes est plus délicat. En Amérique contrairement en Europe, peu de personnes ne s’intéresse aux songwriters.

LA POCHETTE DE L’ALBUM


J’ai eu l’idée d’un orchestre au fond d’un océan qui tirerait vers le bas un pêcheur sur sa barque. Ce n’est pas une image me représentant. Elle montre que l’océan chasse le monde vers ses abysses. Après tu peux l’interpréter comme tu veux ! (rires)

LES AFFINITES


J’adore Kylie Minogue, je la trouve très fraîche, c’est de la bonne pop !

Red House Painters ? non, trop dépressif (rires) ce n’est pas le genre de musique que j’écoute aujourd’hui. Je les ai écouté pendant des années mais plus maintenant.

Pour décrire le club musical de American Music Club, je dirai que c’est tout ce qui se trouve entre Nick Drake, les premiers Pink Floyd et Public Image Limited.

Côté écrivains, j’adore Tennessee Williams. Je trouve Kerouac surestimé, Bukowski est plus intéressant.

J’aimerais pouvoir un jour sortir un livre, un recueil d’histoires mais je ne me considère pas pour autant comme un écrivain. J’écris des chansons, des bouts d’histoires qui durent cinq minutes.

American Music Club, Love Songs for Patriots (Wagram/Cooking Vinyl)

-Le lien vers le site de Cooking Vinyl ici

– American Music Club en concert:

Paris, La Maroquinerie le 12 octobre 2004