Récréation barrée d’un membre de Clem Snide, Fruitkey explose les conventions pop, entre dérivations arty et pop songs environnementales. Joli exécutoire.


Qu’il est réconfortant d’avoir une expérience extra-conjuguales régulière en dehors de son quotidien bien rangé… Lorsque Jason Glasser ne trafique pas avec Eef Barzelay au sein des sympathiques Clem Snide, il s’en retourne à ses premiers amours, soit en tant que plasticien ou aux côtés de Fruitkey, son projet musical personnel entamé en 1992. L’homme – qui a depuis peu émigré en France – a profité d’une petite pause du groupe (un nouvel album devrait paraître sous peu) pour réanimer l’entité Fruitkey. Cette petite rondelle non identifiée est accueilli en France sur le mini-label T-Rec, parrainé par Cyril Bilbeaud (ex-Sloy) et Jean-Charles Versari (ex-Hurleurs), et du coup, on comprend mieux comment pareil ovni a pu atterrir chez nous.

Les disques solos précédents de Glasser voyaient grossir ses notes de crédit par quelques membres de Clem Snide (Eef Barzelay, et le batteur Eric Paull). Cette fois, c’est le metteur en son John Roach et de nouveau Eric Paull qui ont mis du coeur à l’ouvrage sur Beauty Is. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce ce disque offre une palette de couleurs assez stupéfiante. S’il y a des amateurs de Frog Eyes dans la salle, fantastique combo pop extravagant, nul doute que vous aimerez cette galette.

Derrière les pop songs un brin formatées de Clem Snide, il en résulte que Fruitkey passe pour un véritable exécutoire, une sorte de soupape de sécurité pour le violoniste plasticien : De variations expérimentales vers de pures pop songs, ce side project se permet sans états d’âme des variations artistiques à 180°. Dans le milieu de la pop musique, rares sont les mélodistes qui parviennent à se dégager du format pop cantonné sur un même disque pour ainsi partir vers des horizons artistiques plus abstraits… Beauty Is est ponctué d’oeuvres instrumentales, bruitages, reprises de standards et pop songs déconstruites. Suivant ce plan d’attaque effrayant, il faut admettre que Fruitkey semble s’en sortir sans trop de dégâts sur la longueur, les thèmes ne sombrent jamais dans des divagations absconses ou intellectuelles égocentriques.

Le travail du collègue John Roach, paysagiste sonore à sa manière, parvient à immiscer des sons étranges inusuels, parvenant à crée des figurations sonores à la Brian Eno mêlé à des bruitages naturels et urbains : “Fruit Salad Surgery” balance entre Koto et autres influences orientales, poussant même jusqu’à l’Inde sur “Music 4 Hippies”. Certains titres de cet album ont une fonction d’ornement, tel “Bye Bye Brooklyn”. Autre curiosité, “When I die, The Flies will be Singing my name” à la thématique très explicite, tente de recréer une situation émotive, entre ambient et conduit par des gazouillis d’oiseau.

En violoniste inspiré (Il a notamment joué sur Hold Tigh Rope des regrettés Elk City ou A Camp le disque solo Nina Persson des Cardigans, produit par Mark Linkous), Glasser n’oublie pas ses premières amours sur de sympathiques ritournelles pop, tel le très Grandaddy “A song for You”, “Good” ou “Love of the cities”. Sur « Beauty Is », le côté fanfaron de Tom Waits pointe le bout de son nez de clown. Blagueur jusqu’à la fin, la dernière plage se termine par une “Unchained Melody” vissiblement enregistrée sur un dictaphone, antithèse parfaite du wall of sound. C’est Phil Spector qui doit s’en retourner dans sa piaule.

Plasticien de formation, on se doute que Jason Glasser ne s’arrête pas à ce simple format d’expression pour mettre en forme son art : il a notamment fait les dessins qui ornent la pochette du disque et vous trouverez également deux vidéos sous (format quicktime) qui permettent de mieux mesurer l’ampleur de l’univers barré du bonhomme.