De ce mystérieux hôtel Alexis où rodent les fantômes célestes de l’americana se dégage une mélancolie subtile et lumineuse, littéralement habitée. Superbe.


Si la mélancolie correspond pour certains à un état dépressif, quasi pathologique, marqué par une défaillance physiologique du corps, un moral dévasté et un renoncement vertigineux à être au monde, elle est l’occasion pour d’autres de puiser au fond d’eux-mêmes un souffle de vie inattendu et de transformer leur inaccessible désir en quête de l’absolu. Sidney Alexis est assurément de ceux-là.

Connu comme guitariste de Torrez – groupe de rock crépusculaire formé en 2000 avec sa fiancée du moment, Kimberley Torres (dont on entend la basse et la voix sur ce présent album), auteur de The Evening Drag en 2002 – il entame avec The Shinning Example Is Lying On The Floor un parcours solo plus acoustique qu’électrique, résolument ancré dans le style americana, qui est aussi une manière d’exutoire impérieux pour retrouver une paix intérieure devenue nécessaire, sinon vitale. Mais peu enclin aux confessions intimes impudiques, le musicien préfère une écriture imagée plus évasive et indirecte où il ne se révèle et ne se délivre qu’en filigrane. En résulte un sentiment de grande sérénité, comme si les chansons décantées de tout superflu romantique et nombriliste, évidées d’une intimité trop pesante, s’enrichissaient en retour d’un imaginaire poétique soudainement libéré et délesté de tout discours affecté. Une intimité qui, si elle se dérobe à la clarté trop évidente des mots, envahit en revanche les délicates courbures de la musique, insuffle dans les belles et riches textures sonores une justesse déchirante.

Rappelant par moments celui de Mark Linkous (Sparklehorse), l’univers musical de Sidney Alexis est ainsi bâti sur une multitude de nuances, de détails infimes qui font pourtant tout le prix de ses chansons, et leur permettent de s’envoler vers des ciels étoilés plutôt que de se terrer sous le poids du fardeau de la vie. Cette sensibilité à fleur de peau est perceptible dès l’ouverture de l’album, avec “The Season For Working”, où les ballais de Gregg Porter distillent d’emblée une tonalité vaporeuse, ambiance idoine pour laisser pénétrer l’auditeur à pas de loup sur le plancher poussiéreux mais authentique de cette demeure intime que l’on devine boisée. Plus loin, sur le magnifique “The Quiet Life”, la voix de Temple Crocker et le mélodica de Dylan Metrano enveloppent dans une étoffe de soie le chant posé d’Alexis et ses délicates notes de guitare. Ailleurs, sur “My August Name” les volutes de pedal steel de Jon Nolan tirent le morceau vers des contrées country, alors que sur “Ok”, le morceau suivant, elles occupent une sorte d’arrière-monde sonore dont on perçoit juste quelques réminiscences.

Comme un coloriste, Sidney Alexis repeint le vieil hôtel de l’americana à coups de petites touches discrètes, de jeu sur les matières sonores et sur leurs volumes en constante évolution, le tout en évitant constamment l’écueil de la préciosité. Sa musique est peuplée de présences rassurantes qui nous tendent la main sans opportunisme. Et si la mélancolie est bel et bien à tous les étages, ses chansons sont surtout une fenêtre ouverte sur l’humble sensibilité d’un songwriter d’exception.

-Le site Hotel Alexis