C’est devant La salle du café de la danse à Paris, juste avant son concert en co-affiche avec Mugison et Ann Brun, que nous avions rendez-vous avec José Gonzalez, nouveau prodige suédois de la six-corde nylon. Auteur d’un premier album à la mélancolie folk tout à fait captivante, nous pensions trouver un songwriter solitaire aux traits tourmentés. Encore une fois les stéréotypes ont la vie dure…


Nous avons face à nous un jeune homme ordinaire de 26 ans, tenue décontractée (Jean, baskets et polo), et d’une timidité presque embarrassante. Lorsque nous lui proposons d’aller prendre un café, le suédois nous lance un grand sourire et nous voilà donc partis à la recherche d’un pub pas trop bruyant, dans le quartier de Bastille. Très calme et pas très à l’aise visiblement au jeu des interviews, le signore Gonzalez finit petit à petit par délier sa langue et même nous parler des bennes à ordures parisiennes. Venga !

Pinkushion : C’est la première fois que tu joues en France. Est-ce que c’est excitant de voyager et découvrir un nouveau public ?

José Gonzales : Absolument. J’ai fait une tournée en Scandinavie il y a un an et demi, quelque chose comme une centaine de shows. Maintenant, je sors le même disque dans d’autres pays, et j’aime aller dans des pays passionnants comme la France ou des villes comme Viennes.

Il y a deux ou trois mois, tu as fait la première partie à Londres de The Arcade Fire. Comment ça s’est passé ?

A vrai dire, je ne connais pas vraiment les détails, pourquoi j’ai été choisi. Ils m’ont juste appelé une fois au téléphone et demandé si je pouvais jouer en première partie, nous en sommes restés là. C’est assez facile pour moi ce genre d’invitation. Sur scène, je suis seul avec ma guitare. Sur quelques shows en Scandinavie, j’ai interprété la moitié du set avec deux percussionnistes, qui faisaient également les vocaux. Mais la plupart du temps je suis seul. J’écris des chansons qui peuvent se suffirent à elles-mêmes, sans autres instruments. Pour l’instant, cela me convient de jouer dans cet environnement restreint.

Tu viens de Suède, mais tu as du sang argentin qui coule dans tes veines.

Oui, mes parents ont quitté le pays en 1976, lorsqu’il y a eu un coup d’état militaire. Ils ont demandé l’amnistie à la Suède, où je suis né en 1978. Depuis, je suis allé en Argentine deux fois, dont l’année dernière. Mon père y est retourné il y a deux ans, je pense que je retournerais un peu là-bas, dès que j’en aurai l’opportunité.

La Suède et l’Argentine, voilà deux pays à la culture plutôt opposée, non ?

Oui, mais pas autant qu’on le pense. Je veux dire que c’est assez similaire d’un point de vue culturel à l’Espagne ou l’Italie. C’est assez européen, il y a encore des vibrations qui perdurent.

Est-ce que tu te sens chez toi lorsque tu y retournes ?

Un petit peu. C’est comme si… je pouvais parler espagnol, mais avec l’accent suédois. Et quand je suis là-bas, je suis « José le suédois ». (rires).

En parlant d’accent, je trouve que lorsque tu chantes, il y a un petit accent latino qui se dégage.

Je ne sais pas… c’est marrant, d’habitude les gens me disent que je n’ai pas tellement d’accent -je veux dire comme une personne parlant anglais. En vérité, tu dois être le premier à me faire cette remarque (rires)

C’est peut-être parce que je ne connais pas l’accent suédois !

Oui ça doit être ça ! Habituellement, je peux sentir que la manière dont je parle est davantage suédoise. Mais j’utilise aussi des mots et des phrases que tu ne sais pas employer en suédois.

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Veneer est ton premier album solo. Qu’est-ce que tu as fait avant cela ?

Jusqu’en 1998, j’ai joué dans plusieurs groupes, hard rock, et indé. Quand j’ai commencé à étudier, j’ai un peu lâché l’affaire. J’ai commencé à jouer de plus en plus à la maison et plus tant que ça dans un studio de répétition. Je jouais tout seul le week-end, et puis j’ai écrit deux chansons que j’ai pressées en format 7-inch, sur le label d’un ami.

Ce premier album compile en vérité toutes les chansons que tu as sorties sur tes singles et Eps précédents, il n’y a pas de matériel neuf.

Non, pas du tout. C’est comme une collection de très vieilles chansons qui datent d’il y a trois ou cinq ans. Je n’avais pas assez de nouvelles chansons pour l’album, alors j’ai assemblé ce que j’avais déjà en stock.

Tu as de nouvelles chansons sur le feu ?

Non. (rires) J’ai quelques idées pour de nouvelles chansons, mais rien d’écrit. Je compose très lentement. Je ne me sens pas vraiment prêt pour écrire du nouveau matériel.

Faudra-t-il attendre quelques Eps avant d’entendre un nouvel album ?

Oui (rires). Plus sérieusement, la musique vient d’une manière naturelle à moi. Assembler les paroles et la musique, puis ensuite polir jusqu’à ce que ce le résultat soit vraiment bon, cela me prend beaucoup de temps. En ce moment, je joue avec un groupe, nous n’avons encore rien sorti ensemble, mais il y a une batterie et un clavier organ. J’utilise toujours une guitare flamenco, mais je n’emploie plus si souvent la technique du picking. Je l’ai fait tellement par le passé que j’ai besoin maintenant d’écrire de nouvelles chansons. Tu comprends, j’écris d’abord des chansons pour moi. J’attends juste que l’inspiration vienne à moi.

La manière dont tu enregistres tes chansons est rudimentaire. Tu es seul avec ta guitare, pas de section rythmique. Est-ce que c’est une question d’ordre artistique ou bien financière ?

Lorsque j’étais en train de faire les chansons, je voulais que la guitare soit autant que possible intéressante, sans pour autant en rajouter des couches. Il n’y a qu’une seule guitare sur ce disque, j’ai seulement conservé l’essentiel et jeté le reste. Peut-être qu’il y aurait eu davantage de choses si j’avais eu plus de temps ou bénéficié d’un grand studio. J’ai enregistré toutes les chansons à la maison, et de toute façon ça ne me disait rien d’aller quelque part. Je suis très content du résultat, j’ai conservé autant de nudité que je le pouvais. Je vois certains artistes faire leurs chansons et quand ils ont d’autres instruments, ils essaient d’aller dans une autre direction que ce qu’ils recherchaient. Pour l’instant ce n’est pas comme ça que je vois ma musique.

(NDLR : à ce moment là, un camion benne passe juste devant la terrasse du bar où nous sommes accoudés et comme le bruit est trop fort, nous décidons d’arrêter l’enregistreur. Nous en venons à parler des prouesses de l’engin devant nous… Après cinq bonnes minutes de dérivation comparative entre les performances écologiques de nos pays respectifs, le constat est affligeant : Face à la Suède, pays bien connu pour son avance en matière de tri sélectif, José m’apprend que Paris est surtout connue pour ses fameuses… moto-crottes – Merci Jacques! Puis nous reprenons la discussion là où nous l’avions laissée.

Mon label n’avait pas beaucoup d’argent, j’ai donc décidé de tout faire chez moi, avec mon ordinateur. Quelques chansons sont très vieilles, “Hints” par exemple a été enregistrée sur un quatre pistes. C’est ensuite que j’ai commencé à enregistrer sur mon ordinateur.

Lorsque j’écoute Veneer, il y a un sentiment de solitude qui s’en dégage. Est-ce que cela reflète ton état d’esprit ?

Oui, je suppose. Je veux dire par là que cela reflète mon état d’esprit à cette période. Je pense aussi que la musique que j’écoutais alors m’a influencée dans cette direction. J’écoutais également beaucoup de groupes post-rock comme Godspeed You! Black Emperor et des groupes comme Low. J’aime l’obscurité. Je suppose donc que tout ceci est lié à comment je me sentais et à mon idée de concevoir la musique à ce moment là.

Ta technique guitaristique est un mélange de différents styles : flamenco, guitar-picking, folk musique. Comment as-tu appris à jouer de l’instrument ?

J’ai commencé par apprendre seul les accords sur les albums des Beatles et de Bossa Nova. Trois ou quatre ans plus tard, j’ai eu un prof de guitare classique, je me rendais chez lui tout les week-end pour apprendre. J’aime la sonorité des guitares classiques espagnoles. Je ne joue qu’avec des cordes en nylon, excepté parfois avec le groupe, j’utilise alors une guitare folk, afin d’avoir un son plus puissant.

La manière répétitive dont tu utilises ton instrument me rappelle un peu la musique électronique.

Oui. C’est cool que tu le mentionnes. Parce que j’écoutais aussi beaucoup de choses répétitives : DJ Shadow, Tortoise… des musiques avec beaucoup de loops. J’ai été très influencé par cela, mais aussi par la manière d’utiliser la basse, cela vient de la musique électronique.

Est-ce que tu te sens proche de cette nouvelle génération de songwriter folk comme Iron & Wine, Devandra Banhart, Six Organs of Admittance ?

Un petit peu. Ils semblent être une catégorie au-dessus en ce qui concerne le songwriting. A vrai dire, je ne me considère pas tellement en tant que songwriter. Enfin, oui… mais le mot songwriter dégage pour moi une image négative. Peut-être que c’est parce qu’en Suède nous avons ce qu’on appelle des « troubadours ». Ils s’assoient dans des bars et font beaucoup de reprises ringardes. C’est juste le nom de ce style qui m’irrite.

En même temps, est-ce que tu portes beaucoup d’importance à tes paroles ?

Je ne sais pas vraiment… (silence). Les paroles sont importantes, mais ce n’est pas le même focus. Je fais de la musique, c’est ce en quoi je suis bon. J’aime chanter, je vois les mots comme un complément de la musique, mais c’est important que les mots ne prennent pas le dessus sur la musique.

Sur l’album, il y a une excellente reprise de The Knife, un groupe électronique suédois. Je sais que tu as aussi enregistré une reprise de Love Will Tear Us apart de Joy Division.

Je suis davantage fier de la reprise de The Knife. “Love Will tear us apart”, je la joue surtout pendant mes shows en Suède. A vrai dire, je ne suis pas tellement satisfait de cette version. Peut-être que je la jouerais ce soir, cela dépend du public. (NDLR : finalement José optera ce soir là pour une autre cover, “Teardrops” de Massive Attack, et, manifestement, on n’aura pas vraiment perdu au change). J’aime faire des reprise, d’une manière similaire, j’aime écouter celles de Cat Power ou bien les derniers disques de Johnny Cash. J’essaie d’utiliser les même mélodies que les versions originales, j’essaie d’en rester proche.

A dire vrai, je n’aimais pas trop la chanson de The Knife, et je trouve ta version supérieure.

Ha bon ? Pour moi, c’est l’une des meilleures chansons suédoises. Le beat est absolument fantastique. Les deux premières chansons de l’album sont vraiment au-dessus.

Est-ce que tu joues d’autres reprises ?

J’ai fait une reprise de “Teardrops”, de Massive Attack il n’y a pas très longtemps. J’ai aussi enregistré une version de la chanson de Kilye Minogue “Hang On to You Heart”. Elle m’a envoyé un e-mail pour me dire qu’elle l’avait beaucoup aimée (sourire).

Quels sont les plans pour l’avenir.

La sortie sous peu de l’album en Australie et au Japon. Cet été, je vais aussi enregistrer deux nouvelles chansons que je travaille pour le prochain album. J’essaie de collecter quelques idées quand je suis en tournée. En ce moment, j’enregistre sur un dictaphone pour garder des traces.

Pourrais-tu me donner tes cinq albums préférés ?

Silvio rodriguez, Rabo de Nube

Jeremy Enigk, Return of The Frog Queen

(C’est le chanteur de Sunny Day Real Estate, assez différent de ce qu’il faisait avec le groupe, mais avec de très jolies orchestrations).

The Knife, Deep Cuts

Sick of it all, Scratch the Surface

Jan Johansson, Visor pi Svenska

-Lire également la chronique de José Gonzales, Veneer