Nés sous le même sceau que Big Star, Rubinoos, Shoes, Raspberries, Badfinger et quelques autres preux chevaliers, les dB’s appartiennent à la grande confrérie « maudite » de la Power Pop. Le genre de groupe (oc)culte connu uniquement des experts de la fouille spéléologique, les mordus des bacs d’occasions. Ce quatuor originaire de Caroline du Nord (vite transféré à New York) n’a jamais connu son heure de gloire, mais son aura n’a cessé de croître depuis sa séparation, soutenue par une base de fans farouches.

Concentré autour de la redoutable paire de songwriters Chris Stamey (chanteur, guitare) et Peter Holsapple (guitare, claviers), les dB’s furent des fignoleurs pop de premier ordre, l’un de ces rares esthètes à savoir allier sophistication, composition exigeante et goût pour l’expérimentation. Jeter un œil près de 20 ans plus tard sur sa mince discographie (seulement quatre albums) convient pourtant à plonger dans un arbre généalogique aux branches incroyablement denses : Alex Chilton, Van Dyke Parks, REM (Holsapple sera un fervent collaborateur de groupe d’Athens), Scott Litt, Yo la Tengo, Ryan Adams, Ben Folds Five, The Chills, Bob Mould, ou Le Tigre, sont au hasard les quelques noms prestigieux ayant côtoyé ou s’étant adjoint les services de ces musiciens d’exception.

Si leur discographie est d’une qualité constante, la préférence générale va aux deux premiers opus, Stands for DeciBels et Repercussion, sortis respectivement en 1981 et 1982. Ironie du sort, ces deux trésors ne furent distribués décemment en leur patrie qu’après le départ de Stamey en 1983…

Le groupe se forme à la fin des années 70. Chris Stamey est alors un petit patron de label indépendant et musicien disciple d’Alex Chilton (Big Star), qu’il a accompagné sur scène en 1976. Le nom des dB’s se matérialise lorsque Stamey, Gene Holder (basse) et Wil Rigby (Batterie) tous trois ex-Sneakers, sont rejoints par Peter Holsapple (ex H-Bomb). Ce dernier officie d’abord en tant que clavier, puis l’orientation « garage » l’amène à opter pour une six-corde électrique. Le quatuor décide rapidement de partir pour New-York, où la scène à la fin des années 80 est foisonnante (avec pour haut-lieux le CBGB’s et Mx’s Kansas City).

Remarqués par le label indépendant Ork, leur premier 33 tours Stands For DeciBels sort enfin dans les bacs en 1981, trois ans après la parution de leur premier single “I Thought You Wanted To Know”. Mal distribué, mais disponible malgré tout…

Holsapple et Stamey s’y répartissent équitablement le nombre de chansons. Chacun, dans le couple de compositeurs, possède un style spécifique, mais se fond admirablement à l’ensemble. Des motifs étranges décorent leurs mélodies, souvent imprévisibles. Influencés également par le modernisme pop anglais d’XTC et Squeeze, le son des dB’s (diminutif de decibel’s) se démarque par une production dévergondée et moderne, avec un souci constant d’entretenir des mélodies d’orfèvres en provenance de Liverpool et de la west coast 60’s.

Ce goût pour les formats tarabiscotés, on le décèle également à travers des hymnes instantanés tels que “Black & White”, l’incroyable “Judy” et “Neverland” (toutes signés Holsapple). Une vigueur et une innocence qui jouent pour beaucoup dans le charme de leur musique. Pour exemple, Stamey, arrangeur hors-pair, est un savant fou, incluant dans un même morceau rythmique exotique et piano déglingué (“Cycles Per Second”) sur des harmonies vocales empruntées tout droit des Beach Boys.
La ferveur des guitares Nuggets, rayonnantes et inventives, sur “Bad Reputation”, “Big Bown Eyes” ou “The Fight”, n’est qu’une infime partie de la palette sonore du groupe.

Les chansons se succèdent sur Stands For DeciBels et surtout ne se ressemblent pas : “Moving in your Sleep”, poignante ballade digne du “Kangaroo” de l’étoile filante Big Star, tranche avec le reste du répertoire guilleret.

“She’s not Worried” parvient à recréer l’exigence baroque et délicate des Zombies, le caractère New Wave en sus. “Dynamite” pourrait être une chute de sessions de Skylarking d’XTC, avec ses blips électroniques et sa mélodie complètement délurée. “Espionage” démontre un don particulier pour construire des ambiances cinématiques dignes d’un vieux polar avec Humphrey Bogart. Et que dire de ces harmonies vocales parfaites, qui n’ont rien à envier aux couleurs psychédéliques de la paire Mc Cartney/Lennon.

3inrepercussion.jpg Un an après cette exquise déflagration sonore, Repercussion, produit par Scott Litt (REM), continue dans la même voie : une énergie contagieuse servie par un sens de l’éclectisme toujours foisonnant. Le groupe semble plus que jamais poussé par une unique quête : varier au maximum le nombre de trouvailles dans ses pop-songs. Joyaux du disque, “Neverland”, est un hymne power pop, une attaque fulgurante de moins de trois minutes, dont la mélodie traumatiserait n’importe quel cœur digne de ce nom. “Living a Lie” ajoute à la palette déjà riche du groupe une sensibilité R’n’B avec ses cuivres irrésistibles. Plus orienté New Wave, “We Were Happy There” aurait pu être une popsong quelconque, mais les dB’s, ne peuvent s’empêcher d’y insuffler une notion du bizarre, via des effets « blip » électroniques dignes du vaisseau Enterprise 60’s. Toujours sans complexes, Stamey s’essaye à une ballade Mariachi crépusculaire,“From a Window to a Screen”, et invoque la sainte chapelle vocale des Beach Boys. Autre moment précieux, “I Feel Good (Today)” arbore une multitude de facettes rebutantes : folk psychédélique, néant ambient et pop-song décrépie…. “Ask For Jill”, avec ses sons de cloche et ses vagues ambient apporte encore une fois une couleur toujours surprenante et frappe l’inconscient par cet art de modeler des matières opposées avec crédibilité, sans jamais dénaturer l’essence mélodique. Plus relevé, “Ups and Downs” se réconcilie avec les cisaillements de guitares électriques, mais encore une fois l’imprévu est du voyage, un solo steel drums vient perturber le courant des choses. “Nothing is Wrong”, plongée dans une réverbe aux airs de messe funéraire, est encore une fois une pop song maudite.

Devant le manque de reconnaissance public, Chris Stamey quitte le navire pour entamer une carrière solo tandis que Holsapple continuera de mener la barque avec deux excellents albums – même si moins novateurs – avant de jeter définitivement l’éponge en 1988. Malgré tout en bons termes, la paire se retrouvera occasionnellement, autour d’un album acoustique, The Mavericks, de quelques disques solo de Chris Stamey (notamment le remarquable Chrismas Time en 1985), ou sous une reformation éphèmere des dB’s au début des années 90.

Sorti à peu de temps d’intervalle, Repercussion et Stands For DeciBels demeurent deux disques incroyablement complémentaires, qui associés entre eux gardent une cohésion surprenante, en témoigne la compilation non officielle Amplifier sortie en 1986. Ces deux disques ont été réédités en 2002 sur le même support CD (seul l’ordre originel des chansons n’a pas été respecté), unique témoignage officiel puisque les disques originaux, épuisés depuis des siècles, s’arrachent à des prix d’or sur E-Bay.

Reformés sous son line-up d’origine, le dB’s sont actuellement en studio et espèrent sortir un nouvel album courant 2006, si un label se montre intéressé… Une tournée est également en préparation.

Quiconque daignera poser une oreille sur ces deux merveilles, ne serait-ce que pour les chœurs de “Neverland” ou le riff vaillant de “Black & White”, risque d’être poursuivi, que dis-je, hanté pour le restant de ses jours par ces mélodies infernales. Comme quoi la malédiction dont ont été frappée les dB’s se répercute également sur ses auditeurs. Mais celle-ci est autrement plus agréable.

Le site officiel des dB’s


Tracklisting Stands for deciBels:

1. Black and White
2. Dynamite
3. She’s Not Worried
4. The Fight
5. Espionage
6. Tearjerkin’
7. Cycles Per Second
8. Bad Reputation
9. Big Brown Eyes
10. I’m in Love
11. Moving in Your Sleep
12. Judy (bonus cd)

Tracklisting, Repercussion :

1. Living A Lie
2. We Were Happy There
3. Happenstance
4. From A Window
5. Amplifier
6. Ask For Jill
7. I Feel Good (Today)
8. Storm Warning
9. Ups And Downs
10. In Spain
11. Nothing Is Wrong
12. Neverland
13. pH Factor (bonus cd)