Présenté comme le projet le plus ambitieux du génial Matthew Herbert, ce nouvel album démontre, s’il le fallait, que les plus louables intentions ne donnent pas systématiquement naissance à des disques réussis.


Au sortir du fabuleux et désormais incontournable album d’électrojazz Goodbye Swingtime (2003), on était en droit de se demander comment Matthew Herbert allait bien pouvoir rebondir sans se répéter, maintenir une telle créativité sans céder à la tentation de la recette fructueuse. Bonne nouvelle, Plat du jour ne reconduit pas à l’identique la formule magique du précédent opus, et tend même de nouveau vers l’électronica et la techno, voire la house des débuts, délaissant en apparence la musique d’obédience plus jazz. Exit donc le big-band, les cuivres débridés, la batterie free ou la basse ondoyante. Comme son titre français l’indique, la copieuse matière sonore composant les treize titres de Plat du jour ressortit de la nourriture, celle qui, bon gré mal gré, finit dans notre assiette.

Avec pour dessein de donner à entendre toute la chaîne agro-alimentaire – des couveuses industrielles riches de 30000 poulets aux pommes croquées par 3255 personnes, en passant par le dernier repas (des conserves au vinaigre) d’un condamné à mort -, Herbert nous propose des mets musicaux censés nous faire réagir et nous redonner goût à la diversité gastronomique. Ses plats relèvent d’un libre montage d’échantillons sonores, à base de bruits concrets puisés aux quatre coins de l’Angleterre pendant près de deux ans, imbrications en tous genres de samples arrangées avec un sens jubilatoire de la pulsation, un goût immodéré du swing et du détournement joyeusement incongru. Graines diverses, bouteilles de Coca-Cola, oeufs battus en neige, grille-pains, saucisses frites, boîtes de Slimfast, refroidisseur à eau, vélo, haricots robusta vietnamiens, tasses de café, machine à concasser, sont quelques uns parmi les nombreux objets ou aliments transformés en instruments par Herbert et sa troupe de cuisiniers-musiciens altermondialistes.

En grand chef, Herbert allie engagement politique et recherche esthétique, ne ménage pas ses efforts, au point même de céder à la performance frondeuse et ostensible. Sur le site du label Accidental, ce dernier explique en long, en large et en travers le pourquoi et le comment de chaque morceau, donnant certes du crédit à son concept-album, mais le noyant aussi sous une flopée de chiffres et de détails qui le leste d’un propos réflexif parfois vaseux et inutile (et guère plus subtil que celui adopté par Michael Moore). Si Goodbye Swingtime dénonçait déjà l’abrutissement des masses par les médias, il remet le couvert avec Plat du jour en s’en prenant cette fois-ci à la malbouffe, l’uniformisation culinaire et le gaspillage, mais souvent au détriment de la musique, moins accrocheuse que précédemment. D’abord ludique, l’écoute de Plat du jour s’avère vite ennuyeuse sitôt qu’on laisse de côté son mode d’emploi fastidieux. Deviner la source cachée de chaque bruit est amusant et stimulant de prime abord, mais, à la longue, la faiblesse des lignes mélodiques finit par rendre l’écoute de l’album lassante. Les quelques pincées brésiliennes jetées ici ou là et une bonne dose de malice et d’ironie sauvent tout de même l’ensemble de la fadeur rédhibitoire.

Sans déroger à son style de documentariste sonore sensible aux bruits du monde, et qui avait trouvé en Bodily Functions un premier aboutissement convaincant, Matthew Herbert s’enferre cette fois-ci dans une logique de dénonciation polémiste dont son art ne sort pas grandi. Avec A Chance to Cut Is A Chance to Cure, le groupe Matmos avait déjà proposé en 2001 une musique composée essentiellement de bruits concrets enregistrés dans des salles d’opération. Mais le concept de départ se suffisait à lui-même, et finissait par s’effacer devant des expérimentations soniques palpitantes. A l’inverse, Plat du jour subit les conséquences d’un double écueil : non seulement la dimension politique de l’album est difficilement percevable sans le sous-texte explicatif adjacent, aspect qui accuse les limites du procédé voire du projet, mais en plus les morceaux isolés de tout contexte référentiel peinent aussi à vraiment séduire. Au menu ou à la carte, ce Plat du jour manque cruellement de saveur.

-Le site de Accidental.

-Un excellent site français sur Matthew Herbert.