De retour avec un album lumineux, Every Kind Of Light, les vieux briscars Jon Auer et Ken Stringfellow prouvent que leur talent ne s’est pas évaporé après quelques années au soleil. Reformés depuis peu, les amis d’enfance demeurent la paire de songwriter pop en activité la plus douée de Seattle. Le rendez-vous est pris près d’un bar de la salle du Nouveau Casino, quelques heures avant un concert tout bonnement enflammé.


Pinkushion : Finalement, on peut prétendre que les Posies ne se sont jamais vraiment séparés. Durant cette période d’inactivité, Jon et Ken, vous vous êtes produits ensemble en duo sur scène, vous avez enregistré quelques chansons et travaillé sur des compilations pour le groupe… On ne peut pas vraiment dire que les Posies étaient morts…

Jon Auer : Non, je t’assure, le groupe s’est vraiment séparé, mais durant une période pas si longue.

Ken Stringfellow : Après le split, il s’est déroulé deux ans de silence total. Rien de vraiment sérieux pour le groupe ne s’était passé jusqu’à maintenant. Mais cette séparation était en quelque sorte prévisible. Avant que le groupe ne se sépare, les choses n’allaient plus très bien depuis un bon moment. Nous avons eu deux années où rien ne sortait, nous n’étions plus productifs. Entre-temps, nous avons, Jon et moi, fait deux ou trois choses, ici et là, comme cette tournée acoustique en 2000. Mais le déclic le plus important durant cette période fut en 2001, où nous avons vraiment retravaillé ensemble sur un EP commun, mais pas sous le nom des Posies. C’était assez intrigant pour nous, du style « peut-être pourrions-nous refaire quelques chose de neuf ensemble de temps en temps ? ». En somme, après toutes ces années en groupe, nous avons passé beaucoup de temps chacun de notre côté, et ces différentes expériences ou récréations ont certainement joué sur le fait que nous soyons ici aujourd’hui.

Finalement, après cette fameuse tournée acoustique, vous avez réalisé que c’était le bon moment pour retourner en studio ensemble ?

Jon : Il est honnête de dire que nous avons traversé des petites étapes ensemble après notre rupture. Nous avons fait un album qui s’intitulait Success, qui était censé être le dernier album des Posies. Et puis nous avons ensuite tourné un petit peu. Je pense que ce qui nous a réuni à nouveau fut l’élaboration du coffret At Least, At Last (2000). Au même moment, nous avions en préparation un Greatest Hits. Nous avons alors pris beaucoup de temps pour fouiller dans notre passé : regarder toutes ces photos et écouter nos démos, nous a mené à nos concerts acoustiques. Petit à petit, nous en sommes arrivés à aujourd’hui, c’était très organique.

Ken : C’est un long processus de signes. Probablement,après tout, que ce à quoi nous aspirions à ce moment-là était de faire un long break. Nous ne l’aurions jamais dit ainsi à cette période, on voyait cela davantage comme une conclusion.

Avec le temps, pensez-vous que le succès énorme de « Dream All Day » fut une bonne chose pour le groupe ?

Ken : Oui, ce ne fut pas une mauvaise chose.

Jon : Ce fut ok, le titre a bien marché en France.

Cependant, vous avez été rapidement assimilés au mouvement grunge, chose dont vous n’étiez pas proche musicalement parlant.

Jon : La vie est injuste, bébé ! (rires). C’est dur pour les gens de laisser les choses telles qu’elles sont, ils veulent tout catégoriser et cela en devient finalement ridicule. Nous avons juste fait ce que nous sentions bon à cette période. Nous sommes de Seattle, nous ne nous sentions pas proches de tel ou tel mouvement, mais juste originaires de cette ville.

Ken : De la même manière, si tu rajoutes des groupes plus classiques comme Mudhoney, Nirvana ou Pearl Jam, pour moi, ces groupes étaient vraiment différents.

Oui, mais ils étaient en partie influencés par le hard rock, Black Sabbath, chose qu’on ne retrouve pas dans votre musique.

Ken : c’est vrai, mais au-delà des mêmes influences, ils faisaient chacun une musique différente. La musique de Nirvana et de Pearl Jam n’a rien à voir. Font-ils partis du même mouvement ? et bien je te répondrai non. Nous, nous aimons tous ces groupes.

Jon : Je pense que tous ces groupes que tu mentionnes étaient d’abord des groupes de pop. Même s’ils utilisaient un son plus lourd et des vocaux plus puissants. Soundgarden a écrit “Black Hole Sun”, qui était une chanson aussi pop qu’elle pouvait l’être. Nirvana écrivait aussi des super pop songs, avec seulement beaucoup de colère en plus. Peut-être que nos vocaux sonnent plus doux que ceux des autres, c’est pour ça que nous sommes labellisés plus « pop » que heavy metal, jazz, reggae ou ska. Mais nous aimons le rock, le rock du diable.

Les Posies, version 2005

A l’écoute de Every Kind Of Light, ce nouvel album semble être une mixture de Frosting on a Beaster et Dear 23.

Jon : C’est sûrement un de nos albums les plus variés. Il y a un bon équilibre entre des chansons puissantes et d’autres plus sombres. Peut-être qu’un disque comme Amazing Disgrace possédait des parties plus légères qui prenaient le pas sur les chansons plus lourdes. Ici, il y a définitivement un équilibre entre les deux.

En écoutant Every Kind Of Light, je n’arrive pas à croire que ce disque a été enregistré en si peu de temps. D’après la biographie du label, certaines chansons ont été écrites et enregistrées en une journée.

Ken : Le disque a été écrit et enregistré en seulement 12 jours.

Jon : J’ai passé beaucoup plus de temps sur les vocaux, peut-être bien six ou sept jours à travailler dessus et en comptant les overdubs. Le disque a été bouclé en tout et pour tout en trois semaines.

Ken : C’est seulement le temps qui nous avons mis, vraiment. Nous avions un temps très limité pour enregistrer ce disque, car nous avions après d’autres choses qui nous attendaient. Dans un sens, c’était merveilleux. Nous étions un peu comme un bon vieux moteur de Cadillac, on roulait pendant toute la journée en studio, imperturbables.

Le soin porté aux arrangements sur Every Kind Of Light est superbe. Je trouve personnellement que vous êtes de meilleurs musiciens et arrangeurs. Il semble que vos collaborations externes ou en solo aient contribué à affûter votre musique.

Ken : Je le pense aussi. Je sens que je progresse avec les années.

Jon : Ça y a contribué certainement, mais aussi l’expérience du temps.

On peut aussi déceler quelques subtiles sonorités électroniques, comme sur le titre d’ouverture, c’est un peu nouveau.

Ken : On essaie toujours de trouver une nouvelle voie, pourquoi pas non ? Mais je tiens à dire qu’ il y avait déjà des drum machines dans Success.

Jon : “Star a Life” (Success, 1998) contenait plusieurs boucles electro. Every Kind Of Light contient définitivement plus de nouveaux éléments, des choses que les gens n’avaient pas l’habitude d’entendre sur un ancien disque des Posies.

Ken : Pour le moment, il n’y a rien sur ce disque que nous ayons joué en tant que simple séquence, tout est joué manuellement.

Jon : Il y a quand même un morceau où nous avons utilisé une boîte à rythmes.

Ken : Ha oui, mais ce n’est pas vraiment de l’electro pure et dure, disons que c’est presque une sorte de carburant pour nous ! (rires).

Bon, question cruciale maintenant. Qui est le bad guy du groupe qui écrit des chansons rock, et qui est le mélancolique qui écrit les ballades ?
(Fou rire général)

Ken : Nous sommes vraiment tous des gens mauvais et mélancoliques (rires). Honnêtement, nous travaillons toujours ensemble, alors il n’y a pas une personne habilitée à faire telle ou telle chose de la même manière. Tu pouvais peut-être l’entendre sur nos vieux disques, mais là c’est vraiment un effort collectif.

Jon : Il y a beaucoup d’éléments similaires, mais c’est vraiment un melting pot de ce que nous avons apporté chacun. Nous nous sommes vraiment influencés mutuellement. Nous avons fait des choses sur ce disque qu’on ne faisait pas habituellement : comme Ken qui a joué quelques solos de guitares et j’ai joué certaines parties de claviers, ce n’était pas vraiment le cas avant. J’insiste aussi pour dire que ce disque est vraiment un effort de groupe. Nous étions tous les jours tous les quatre dans la même pièce à nous regarder jouer ensemble. Nous ne savions pas vraiment où nous allions.

La section rythmique est assez impressionnante sur les passages rock, .

Ken : Sur ce disque, le sens de l’engagement était pour chacun similaire. C’est pour cela que nous avons progressé rapidement. Je pense que ce serait honnête de dire qu’il y a eu des moments dans le passé où peut-être les gens avec qui nous travaillions, le matériel et l’intérêt n’étaient pas au rendez-vous forcément, en même temps. Dans ce cas-là, les choses vont lentement. Mais si l’attention de tout le monde est focalisée dans le même sens, ce qui fut notre cas cette fois, les choses vont alors très vite.

A vous entendre l’enrgeistrement fut plus facile que par le passé.

Jon : Et bien, ce n’était pas vraiment facile, mais ce n’était pas pénible non plus. Nous avons travaillé dur, ce fut un véritable challenge.

Ken : Nous avions avant une sorte d’approche méthodique : l’un de nous écrivait une chanson, on en faisait une démo ensemble, apprenions à la jouer de cette manière et puis nous allions en studio. Tout avait un certain ordre. Nous passions vraiment beaucoup de temps à faire un disque parce que cette manière de travailler demandait un travail énorme d’imagination, mais le niveau d’énergie s’épuise alors rapidement. Du temps de Frosting on a Beaster, on passait un temps fou sur des parties de guitare stupides ou de batterie parce que nous étions coincés dans un carcan que nous avions créé. Il y a maintenant bien plus de flexibilité, certainement à cause de la préparation.

Jon : Il y a aussi beaucoup plus de plaisir, car nous sommes maintenant un groupe et tout le monde contribue à l’album. Par le passé, il y a des chansons où toutes les parties des instruments étaient déjà écrites sur les démos, même les solos. C’était sûrement moins marrant pour les autres membres du groupe de rejouer des parties déjà écrites. C’est constructif pour tout le monde maintenant. Par exemple, la partie de basse sur « It’s Great To Be Here Again ! », je suis toujours impressionné que Matt débarque avec cette ligne. Je me rappelle l’entendre rejouer encore et encore, cinq ou six fois avant que nous ne l’a jouions – même si nous n’avons gardé que la première prise- , je ne demande encore où il a pu sortir ça.

Vous sentez-vous proche de l’esprit Power pop auguré par des groupes comme Big Star, Badfinger…

Ken : Probablement non. Je veux dire, Big Star et tous ces groupes étaient fantastiques mais étaient plutôt portés sur des mélodies mielleuses ou des morceaux boogie rock.

Il y a d’ailleurs une chanson qui s’en rapproche sur votre disque, “I Finally Found A Jungle I Like”, avec un joli riff shuffle.

Jon Auer : Oui, c’est une chanson rock. En vérité, le terme Power Pop me dérange. Si tu examines les disques de groupes comme les Shoes ou les Raspberries, il est vrai que nous avons des mélodies similaires. Il y a certains morceaux qui se détachent et semblent taillés pour être un tube ou pour un public de masse. Mais au-delà du terme power-pop, c’est juste seulement une partie des choses que nous aimons jouer. Sur un album comme Frosting on a Beaster, des titres comme “Flavor of The Month”, “Solar Sister” sont des chansons power pop, avec des vocaux très travaillés. Mais sur l’album, il y a aussi d’autres titres comme “How She Lied by Living” et “Coming Right Along” qui ne le sont indéniablement pas.

Ken : On le reconnaît sur certains points, mais nous essayons de faire différentes choses. Ce serait trop ennuyeux que de se cantonner à un seul style. Tu vois où on veut en venir ?

Bien sûr. Les Posies possèdent tout de même une particularité : même si les guitares sont puissantes, la voix demeure toujours très douce, cristalline, enfin, je veux dire par-là que vous n’hurlez jamais…

Ken : Il y a quelques hurlements, mais c’est rare, il est vrai (rires).

Et d’ailleurs, votre style me rappelle beaucoup les Shoes !(rires)

Jon (presque dépité): Les Shoes étaient bien plus doux que nous. Les gens ne crient pas nécessairement dans les choses les plus puissantes que j’ai entendues. Je pense que si Lou Barlow (ndlr : Sebadoh, Folk Implosion) a écrit des chansons magnifiques et puissantes, sa voix reste calme et délicate. Ce n’est pas si violent que ça, mais il y a certainement là-dedans un très grand pouvoir émotionnel.

Ken : Je suis sûr de n’avoir jamais entendu Elliott Smith hurler.

Jon : Elliott Smith, ça c’est un bon exemple.

Mais Elliott Smith n’a pas écrit de chansons rock puissantes

Ken : Il en a écrit du temps d’Heatmiser.

Hum… il me semble qu’il hurlait parfois sur les premiers albums d’Heatmiser…

Ken : Peut-être bien, peut-être bien…

Jon Auer : Posies O, jounaliste 1 (rires)

Pourriez-vous me parler enfin de votre collaboration sur le nouvel album de Big Star ?

Jon : Tout s’est passé très vite. Je pense que nous avons fait deux sessions de 10 jours chacune. C’est un peu le même processus que pour notre album. Nous étions tous dans la pièce, avec la même vibration, nous avons participé à l’écriture des chansons. C’est peut être surprenant, mais nous avons finalement été plus impliqués que je ne le suspectais initialement. Lorsqu’on regarde les albums de Big Star, ils sont tous si différents et plutôt riches en collaborations, bénéficient de l’aide de personnes qui étaient dans les parages à ce moment-là. Celui-ci est dans le même esprit.

Ken : Le son du disque est vraiment différent des albums précédents. Il n’y a que deux chansons qui sonnent comme du vieux Big Star. Alex Chilton n’a pas enregistré d’album de Big Star depuis 30 ans, alors dans un sens, il en découle forcément une éducation musicale différente. Il y a beaucoup de cet impact, lorsque j’écoute l’album, je suis assez étonné de voir combien ça se tient, même si les styles sont variés : il y a du disco, quelques pièces de musique classique, il y a aussi de merveilleuses chansons pop-rock. Cela part d’un point à au autre…

Jon : Je pense que les gens qui attendaient l’album vont être surpris, puis vont y revenir, ce qui est une bonne chose. L’histoire de Big Star représente tellement d’attente… enfin, je veux dire par là que « Big Star revient 30 ans après leur dernier album ». Mais c’est un très bon disque.

Pouvez-vous me donner votre Top 5 des albums ou chansons préférées ?

Jon : je vais donc choisir mes chansons préférées :

“one”, Harry Nilsson

“I’ve Been Waiting For You”, Neil Young

“(Looking For) The Heart Saturday Night”, Tom Waits

“Wandering Stars”, Portishead

“New Lace Sleeves”, Elvis Costello

Ken : alors voilà mes albums préférés :

Blood & Chocolate, Elvis Costello

Nilsson Sings Newman, Harry Nilsson

Songs For Nothern Britain, Teenage Fanclub

In rock, Deep Purple

Spirits Having Flown, Bee Gees

Matt Harris :

Nilsson Sings Newman, Harry Nilsson

Sketches of Spain, Miles Davis

Let It Be, Beatles

Dennis Wilson, Pacific Ocean Blue

Boston, Boston

Darius Minwalla :

Hüsker Dü, New Day Rising

Smokey Robinson, “The Tears of a Clown”

Beatler, Revolver

Rush, Permanent Waves

Minutement, Double Nickels on the Dime