Il arrive à Pinkushion de recevoir des lettres de gens célèbres. Voici celle que nous avons reçue de Daniel Lanois…


Bonjour, je m’appelle Daniel Lanois. Je suis canadien. J’ai toujours été subjugué par les peuples originaires d’Amérique, et je profite de l’argent et de la liberté que m’ont donnés par ailleurs mon travail en tant que producteur pour exploiter cette passion. Mais je vais probablement trop vite en besogne, car beaucoup, encore, je le vois bien, ne voient pas qui je suis… Je n’aime pas me mettre en avant – ceci expliquant probablement cela – et je brille (dit-on) par ma discrétion et ma modestie légendaires, mais permettez-moi de vous informer que j’ai produit quelques-uns des meilleurs albums d’un groupe considéré aujourd’hui comme un dinosaure incontournable de la scène rock. Ce n’est pas des Rolling Stones (bien que j’aurai pu les produire aussi) dont je veux parler ici, mais de U2, dont The Joshua Tree, co-produit avec mon ami Brian ENo, doit être le summum de ma carrière. Peter Gabriel, Bob Dylan, et Willie Nelson (je tiens à remercier le batteur de ces deux derniers pour sa vision reggae sur « Frozen ») complètent un CV dont on me souffle la fierté.

Tout ça, c’est à Eno que je le dois, car il m’a appris les cordes du métier, et, en quelque sorte, m’a inspiré cet album et tant d’autres. Bon, je propose de fermer à présent cette parenthèse ‘people’ car je suis ici pour vous parler d’un projet qui me tenait à coeur et qui a enfin abouti.

J’avais un rêve, oui, celui de créer un album intemporel, qui puisse accompagner l’auditeur dans sa vie quotidienne, dans ses hauts comme ses bas. A l’époque d’Apollo, album auquel vous pourriez comparer Belladonna, j’étais jeune et optimiste. Aujourd’hui, je ne dirais pas que je suis devenu pessimiste, mais disons que l’optimisme a foutu le camp, alors je m’accroche à ce que j’aime, aux gens, aux endroits qui me font encore aimer la vie. C’est un peu ça que j’ai voulu retranscrire dans ses morceaux instrumentaux, plus à même de toucher l’universalité qui est en nous. L’idée de l’album m’est venue au Mexique, sur la péninsule de Baja. C’est une forme comme une autre pour moi aussi de combattre la globalisation tout en l’utilisant. Serais-je resté optimiste après tout ? 😉

J’ai privilégié le piano, la guitare slide (qui, comme me le disait un ami l’autre jour, peut évoquer Communication des Dire Straits sur « Flametop Green »), des nappes de synthé (merci Brian), et, bien sûr, nouveauté pour moi, des trompettes à la mariachi (sur « Telco » par exemple). Pour revenir à mon obsession des natifs d’Amérique, « Oaxaca » et « Agave » tentent, comme sur mes albums précédents (notamment Shine à propos des indiens canadiens) d’approcher, – que dis-je ? – d’effleurer le génie mystérieux de ces peuples décimés. C’était il y a des centaines d’années, c’est vrai, et pourtant, force est de constater que pas grand-chose n’a changé dans la nature humaine hélas.

« Sketches » ne fait pas référence au célèbre titre de Miles Davis, mais Brad Meldhau, l’un de splus respectueux pianistes de jazz, est venu jouer sur ce titre, vous pouvez donc en tirer les conclusions que vous voudrez bien en tirer. Et c’est ça finalement je crois le plus important : que chacun s’approprie ce disque, puisse-t-il faire rêver, ce serait déjà ça de gagné.

Ce disque tente un tant soit peu de transporter l’auditeur vers un au-delà – ou un au-deçà – à même d’assouvir nos envies de fuites et d’évasion. Les bribes de piano qui viennent pinailler de ci de là sont comme des papillons paradisiaques, nous rappelant que la fin est proche… Mais je m’égare, et je ne voudrais pas mettre des mots, qui sont les miens, sur une musique que je veux universelle, personnelle et intemporelle à la fois. Ce que j’ai tenté avec Belladonna (belle femme en italien), c’est de faire passer ce que je ressens au plus profond de moi. Une certaine manière de voir la façon dont je me relie au monde et à l’univers. A vous de juger.

Le site de Daniel Lanois