Enregistrées lors de la tournée Des visages des figures, après une pause volontaire, Noir Desir décide de commercialiser des tranches de concerts de l’année 2002. Loin de l’agitation médiatique liée à sa sortie, impressions personnelles.


Quasiment dix ans après Dies Irae, Noir Desir publie un nouvel album live retraçant la tournée faisant suite à l’album Des visages des figures. Avec ce disque d’une grande maturité artistique, les bordelais ont su s’échapper d’un carcan rock en sondant la texture sonore. Ouvrant des brèches dans un style usé jusqu’à la moelle, à l’instar d’un Romain Humeau – (ce n’est pas un hasard si le girondin est entré dans la famille, section cordes) – le quatuor se lance des défis et comme un manifeste, écrit un long poème musical d’une densité harmonieuse insolite, Nous n’avons fait que fuir. En pleine apogée, à peine la tournée Des visages des figures finie, les efforts du groupe sont stoppés nets dans leur élan. S’en suit une longue retraite volontaire, jusqu’à ce mois de septembre 2005 où les français décident de refaire parler d’eux via des tranches de concert. Sobrement intitulé En public, la sortie commerciale est agrémentée d’un film signé Don Kent sur support dvd, proposant outre clips et autres reportages, le dernier concert donné par Noir Desir à l’Agora d’Evry le 14 décembre 2002. Et pour combler les fans, le groupe continue de fouiller dans ses cartons et rééditera dans le courant de l’année 2006 le documentaire On est au monde, plus les deux concerts filmés par Henri-Jean Debon, lors de la tournée Tostaky, à Paris et Lyon, déjà disponible en k7 video.

Au delà de la controverse commerciale liée à la sortie du disque, dont les recettes sont destinées aux indemnisations civiles des enfants de Marie Trintignant, il reste la musique qui – à moins que l’on soit un opposant de la première heure – met tout le monde d’accord.

En écoutant ce double album, les premières images qui me reviennent sont celles d’une tournée suivie avec entrain et pleine d’émotion. De date en date, tous ces moments scéniques ressortent de la mémoire et laissent à penser que ce vide dans le gotha rock français sera difficile à combler. Chaque titre mis en avant témoigne de l’énergie, la disponibilité et une sincérité sans réserve qui animent le groupe. Erudit, lettré mais sans jamais la ramener, Bertand Cantat nous sert des textes d’une poésie à forte évocation. Entre un Gérard De Nerval ou un Lautréamont se glisse une adaptation d’un texte hongrois, « Nem én kiáltok », de Attila József devenu « Ce n’est pas moi qui clame ». En ouverture des concerts de la deuxième partie de la tournée, ce titre en particulier donnait le ton d’une prestation scénique à l’atmosphère rythmique et au chant d’une rare liberté. Deux heures d’une intensité considérable où gémissements des instruments, cris hurlés, chuchotés, caressés s’entremêlent et s’affranchissent de tout code. Les barrières entre genres musicaux s’ouvrent et invitent King Crimson, Brel ou Ferré à être honorés sur « 21st century schizoid man », « Ces gens-là », « Des armes ».

La CD se clôt à un titre prêt comme lors des concerts, sur une version tendue de « A ton étoile » où les mots de Cantat entre français et espagnol résonnent comme autant de songes aux destins fatals mais à l’espoir intact. « Sous la lumière en plein et dans l’ombre en silence, si tu cherches un abri inaccessible, dis toi qu’il n’est pas loin et qu’on y brille, à ton étoile« .

En attendant la sortie de Bertrand Cantat de prison pour fin 2007, et peut-être une reformation du groupe, on suivra Frédéric Vidalenc déjà parti depuis quelques temps voguer sur les mers du monde, Jean-Paul Roy épaulant Yann Tiersen en tournée, Serge Teyssot-Gay en solo et Denis Barthe en producteur directeur artistique de divers projets musicaux.

Et comme le dit si bien Maldoror «Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre; car je sens que le moment est venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal; mais… courage! Je te salue vieil océan!»

-Lire également la chronique de L’Eternité de l’instant de Romain Humeau

-Le site de Noir Desir

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