Malheureusement peu exposés médiatiquement, quelques groupes de chez nous construisent une musique singulière et touchante. Parmi ces activistes se détachent Man et Jack The Ripper, esprits insoumis et savants qui tranchent avec les us et coutumes du rock hexagonal. Que l’aventure continue !


Un coup d’oeil bien avisé par chez nous, nous entraîne sur les pas d’artisans (au sens noble du terme) qui depuis des années, à l’ombre des médias et étrangers aux enjeux mercantiles, façonnent avec constance et minutie une oeuvre musicale accomplie. D’un côté les versaillais de Jack The Ripper, de l’autre les nantais de Man. Si leur direction musicale les distingue, la démarche est semblable. En cultivant leurs compositions sur des terrains encore en friche dont la fertilité n’est qu’à exploiter, ils récoltent une moisson d’un butin inestimable dont la saveur fait saliver de gourmandise leurs voisins à l’inspiration créative limitée.

Man ou deux électrons libres, François Rasim Biyikli et Charles-Eric Charrier, se jouent des codes mélodiques et prennent un malin plaisir à déconstruire leurs arrangements. Tout comme les français d’Osaka, Sylvain Chauveau ou Ulan Bator, le duo breton assouvit sa soif de scission en martelant une électro-acoustique la plus déviante possible. Si l’accès à leur univers peut paraître aux premiers abords austère, une fois bien installé on s’y sent bien au chaud. Mais n’en était-il pas ainsi lorsque nous faisions les premiers pas dans l’enceinte des Labradford, Clogs ou plus récemment The White Birch, dont on ventait il y a peu leurs vertus envoûtantes, un peu sur nos gardes mais vite conquis. Avare en mots, le groupe s’exprime par son instrumentation riche en motifs bigarrés. Entre une escapade dans le free-jazz, la musique concrète et la pop expérimentale, chaque titre creuse un sillon qui emmène avec eux une gamme de sons à la fois métronomiques, abrasifs et introspectifs (« Drifting », « Strange feeling », « Revenir »).

Moins dépouillé que les deux précédents albums, Helping hand garde ce goût pour l’improvisation et l’effluve poétique. Il modèle une dissonance électronique dont les collages singuliers transportent une aura cosmique. Depuis 1998, Man invente une nouvelle grammaire à la narration jamais figée qui n’est pas sans rappeler celle dressée par les Satie, Sun Ra et autres Robert Wyatt. Comme autant de frontières illimitées, ces explorateurs discrets doivent leur effervescence à une expression elliptique. Faisons tout pour qu’elle puisse toujours s’exprimer.

artoff1443.jpg Partageant une même affection pour le cabaret berlinois que Man, Jack The Ripper s’attache à édifier une structure musicale fureteuse et aboutie. Ladies first signe le retour du sextuor devenu huit depuis peu. Disque imposant, ce troisième album sonne l’apothéose du groupe. Leur premier effort discographique The Book of life en 2001, bien que trop engoncé dans des références emprisonnantes, était déjà prometteur. Puis, I’m coming, titre prémonitoire, se chargeait d’envoyer des signes à ceux qui ne les auraient pas pris au sérieux. Les premiers pas balbutiants oubliés, on découvre un visage aux traits affinés et distingués. A l’instar de leur pochette toujours aussi bien soignée, Jack The Ripper témoigne d’une élégance mirliflore et provocante. Leur musique contient cette verve représentative des groupes qui se frottent aux étoiles quitte à en laisser des bouts de peau. Erudit et amène, leurs discours fait front avec leur envie de bousculer la hiérarchie et rivaliser enfin avec leurs influences. Car les français ont vu grand et ce n’est pas pour nous déplaire.

Loin du profil hautain de leurs confrères anglais, dans une démarche plus discrète, le combo versaillais convie cordes et cuivres dans des arrangements tout aussi subtils que délicats. L’orchestration reposant en partie sur un violon et une trompette offre le grand air à des compositions qui ne cessent de tester les limites du format pop-songs. Chaque chanson est traitée avec des égards particuliers. L’ombre de Leonard Cohen plane sur « The apemen, the bride and the butterfly », duo câlin entre une guitare et un piano dont les ébats seront perturbés par une trompette souveraine. « Vargtimmen » aurait pu être sur l’album Ting des Nits tant il se fond dans le décor des hollandais.

Comme chez ses voisins belges dEUS ou Venus, la pop se décline en anglais et avec une certaine exigence : refuser de se limiter à des règles, dynamiter les genres. Et si les chansons épousent des rythmes familiers, c’est pour mieux les transfigurer. Ainsi, de temps en temps on croise James et son lyrisme exacerbé (« Old stars »), Kurt Weill et sa symphonie théâtrale (« I was born a cancer « ) ou plus insolite 16 Horsepower et son rock tendu (« Words »). A la fois charnelle et cérébrale, la musique de Jack The Ripper fascine par tant de maturité dans l’écriture. Un troisième album qui s’impose par sa densité et devrait séduire tous les amateurs d’un rock lettré et appliqué.

-Le site de Man
-Le site de Jack The Ripper