Passage en revue de quelques albums de néo-folk importants, malheureusement pas distribués chez nous, qui témoignent des divers visages et de l’effervescence créative de cette scène que l’on ne saurait réduire à la seule personnalité de Devendra Banhart.

Josephine Foster – Hazel Eyes, I Will Lead You (Locust)

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Décrite justement, de manière inopportune, comme le pendant féminin de Devendra Banhart, Josephine Foster (amie par ailleurs de ce dernier) délaisse sur son second album solo la guitare électrique et les envolées fiévreuses du superbe All The Leaves Are Gone (2004). Sa voix divine, sans doute parmi les plus passionnantes de notre époque, sert ici des climats apaisés, brumeux et intimistes, ouvertement dérivés du psych-folk des années 60-70. Soutenus par une quinzaine d’instruments traditionnels (guitare, harpe, tambourins, flûte, cithare, castagnettes, ukulele…), un à un maniés avec parcimonie et un souci d’épure par l’intéressée elle-même, les textes de Foster atteignent un degré d’intensité bouleversant. Cette façon de ne pas trop en faire, d’habiter les silences de sa propre solitude et d’éviter toute forme de pastiche revival pour au contraire retrouver en toute simplicité l’essence du genre, communique une profondeur rare à des chansons sans âge. Chantant de troublantes odes à la nature et à l’amour, Josephine Foster laisse aussi poindre au détour de mots poignants les peines qu’occasionne l’abandon. Magnifique.

– Le site de Locustmusic.

– A écouter : “The pruner’s pair

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Espers – The Weed Tree (Locust)

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Autre singer-songwriter compagnon de route de Devendra Banhart, Greg Weeks s’avère tout aussi prolifique que le fameux barbu. Nous ayant déjà gratifié en début d’année d’un magnifique album solo (Blood Is Trouble), il l’achève de manière identique en compagnie de son groupe Espers (d’abord un trio formé avec Meg Baird et Brooke Sietinsons, transformé aujourd’hui en sextet). Si ce second opus, composé pour l’essentiel de six reprises et d’un seul original, a sans doute été envisagé comme une transition, il n’en demeure pas moins une épatante réussite. Moins porté sur de longs et sinueux instrumentaux, le groupe laisse ici une place plus grande aux voix (de Baird et Weeks) et aux rythmiques (percussions, tambours), sans se départir toutefois du ton crépusculaire qui le caractérise. Passées dans le tamis sonore d’Espers, les reprises en question (deux tradionnels, et des titres de Durutti Column, Nico, Michael Hurley, Blue Öyster Cult) sont transfigurées, voire méconnaissables : la récurrence du désespoir, présent dans presque tous les morceaux choisis, est nuancée par la douceur du chant et une approche instrumentale constamment inventive qui enrobe la tristesse de lumineuses textures, irradiantes de beauté. Un décalage surprenant et bienvenu qui rend les textes d’autant plus émouvants.

– Le site de Espers.

– A écouter : “Afraid” (Nico)

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The Viking Moses ! – Crosses/Spenking (Marriage Records)

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Présent sur l’excellente compilation Golden Apples Of The Sun, pensée par Devendra Banhart, The Viking Moses est l’oeuvre quasi exclusive d’un seul homme, Brendon Massei, guitariste émérite entendu auprès de Josephine Foster, Vetiver, Songs : Ohia ou Will Oldham. Ce concept-album est scindé en deux disques, chacun concernant une personne différente, femme et homme que la musique de Massei relie : Crosses est ainsi une ode adressée à la bien-aimée Emma, tandis que Spenking concerne Spencer Kingman, nomade parti à la guerre. Ce dégage à l’écoute de ces courtes chansons une impression irrésistible de bien-être. Petit bonheur tout simple, reposant sur quelques accords, une voix nonchalante et des textes empreints tantôt d’une naïveté toute enfantine, tantôt d’une lucidité désarmante. Aux antipodes de toutes expérimentations ou vaines relecture du passé, Massei assoit sa musique sans artifices sur des mélodies souveraines, retrouvant par-là la démarche originelle des pionniers du folk US.

– Le site de Marriage Records.

– A écouter : “Al Jazeera

Nick Castro – Further From Grace (Strange Attractors)

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Nick Castro peut être assimilé lui aussi à la communauté de néo-folkeux évoqués ci-dessus, puisque figurent sur son second album, au dulcimer, Meg Baird (Espers), la voix de Josephine Foster et les percussions de Hotto Hausser (Six Organs Of Admittance, Currituck Co.). Castro se distingue néanmoins en raison d’une inspiration singulière, à la croisée du folk traditionnel américain, de l’acid folk britannique et de la musique orientale, trois directions stylistiques qui emportent sa musique bien au-delà des clichés dont beaucoup font oeuvre. En grand érudit, Castro distille, en compagnie de son groupe The Poison Tree, une profondeur historique dans chacun de ses morceaux (notamment en utilisant des instruments anciens, comme le mijwiz), tout en jouant admirablement de l’alternance entre ballades acoustiques enchantées et plages instrumentales plus rythmées (en partie improvisées), ainsi que de toute une gamme d’arrangements et d’émotions qui actualise le genre. Un très grand disque, en tous points incontournable.

– Le site de Nick Castro.

– A écouter : “Sun Song

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Wooden Wand – Harem Of The Sundrum & The Witness Figg (Soft Abuse)

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Derrière Wooden Wand se cache le prolifique James Toth, figure emblématique du psych folk tendance gothique (plus à considérer comme un précurseur du renouveau acid folk actuel que comme un suiveur), qui aura sorti cette année pas moins de quatre albums. Celui-ci est en fait le premier qu’il a réalisé en solo, délaissant son groupe The Vanishing Voice, les drones et les instrumentations complexes pour se concentrer plutôt sur des structures plus proches du format chanson. Les morceaux concis, d’un abord simple mais s’avérant en réalité plus subtils qu’il n’y paraît (Toth jouant avec inventivité de la variété de sonorités de sa guitare, ainsi que du placement de son chant et des instruments dans l’espace), relèvent tous d’une esthétique lo-fi en parfaite adéquation avec des textes spirituels et imagés que la voix de Toth sublime. Un album convaincant qui n’est pas sans évoquer, dans l’esprit à tout le moins, ceux de Will Oldham au temps de ses Palace Brothers, et qui devrait ravir les fans de Herman Düne.

– Le site de Soft Abuse.

– A écouter : “(Ask A) Sufist Chef

Brendon Anderegg – Falling Air (Psych-O-Path)

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Ne pas se fier au premier titre du second album de Brendon Anderegg, longue dérive sonore reposant sur des textures enchevêtrées. Fallin Air est bien un album de freak folk, c’est-à-dire un album de chansons bancales à souhait, qui ne cesse de déraper et de glisser entre des orientations divergentes aussi déroutantes qu’originales. Etranges instrumentaux lancinants et répétitifs, morceaux acoustiques voix-guitare, bribes d’électronica à la Arab Strap: l’univers de Brendon Anderegg, assemblage hétéroclite d’humeurs contrariantes mais libératoires, est inclassable, rétif aux étiquettes. Une musique schizophrénique sincère et fragile où noirceur et beautés se confondent.

– Le site de Psych-O-Path.

– A écouter : “One More Year

Thanksgiving – The River (Marriage Records)

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Comme Willy Masson, Adrian Orange est un singer-songwriter précoce qui fait montre d’une maturité presque désinvolte : âgé d’à peine 20 ans, et déjà auteur de cinq albums, le gars a du talent à revendre, comme l’atteste encore The River, à ce jour son meilleur album. Cette série de chansons folk limpides, dévoile une écriture autobiographique aiguisée, qui a le bon goût de se diluer dans des textes poétiques, proches du conte, et des impressions fugitives. Aussi à l’aise avec un banjo, qu’avec une guitare sèche ou électrique, Orange est un artiste libre qui n’a d’autre prétention que d’écrire des chansons éternelles, comme ses mentors Will Oldham ou Bill Callahan. A l’écouter, on devine qu’il est sur le bon chemin.

– Le site de Marriage Records.

– A écouter : “Ageism