Des ballades pastorales et désespérées, poussées par un chanteur d’exception, The Strugglers sont les derniers rejetons d’une country/folk noble. De quoi tenir durant l’hiver rude, en attendant les éclaircies.


Un matin de décembre. Quelques flocons de neige s’accumulent sur le rebord de la fenêtre. Malheureusement, le froid ne souffle pas encore assez fort, et cette couverture blanche qui se dessine ne résistera certainement pas jusqu’à l’après-midi. De l’autre côté de la vitre, on observe ce petit jeu de la nature, “Necrophilia” en fond sonore. Puis il est temps de rajouter une bûche sur le feu, si l’on veut que celui-ci tienne jusqu’au repas. Voilà un disque de saison, propice au spleen hivernal !

De cette lutte quelconque, vouée irrémédiablement à la défaite, nous parvient en écho le vague à l’âme rural de The Strugglers. Tel que le mentionne son titre, cet album est dédié aux losers (« You Win »… so I Lose). Et Brice Randall Bickford II, « lutteur en chef », a vraisemblablement rédigé une thèse sur les démons de l’Americana… La formule est désormais centenaire, mais ce rituel du songwriter exorcisant son malheur, pansant ses blessures de coeur par le biais d’une chanson, demeure à ce jour le meilleur remède contre la folie. Ses paroles et surtout son coffre vocal – particulièrement secouant – possèdent en retour des vertus propices au réconfort d’autrui.

Malgré quelques compilations révélées sur le label Acuarella, on a un peu raté les débuts de ce faux groupe, essentiellement concentré sur la personnalité de ce redneck de Caroline du Nord, mais on imagine facilement que le décorum n’a pas trop changé depuis les deux albums précédents. Souhaitons que ce troisième chapitre puisse lui apporter une plus grande reconnaissance, pourtant déjà à l’oeuvre chez ses compagnons de tournée aux Etats-Unis : Smog, Jason Molina (Magnolia Electric Co), The Mountain Goats. Un joli tableau de famille.

Fidèle aux canons esthétiques de l’alternative country/folk, Mr. Randall Bickford II ne s’encombre pas d’instruments dont la longévité n’atteint pas moins de 30 ans. Ces ballades pastorales nous invitent à piquer une sieste au sommet d’une colline, bien à l’abri sous un chêne. Seule ombre noire au tableau, notre chapeau de paille est emporté par le vent, annonçant nuages gris et coup de tonnerre à l’horizon. Cette musique pointe l’instant précis où il est temps de s’abriter si l’on ne veut pas prendre la foudre. Face à cette tempête annoncée, une dizaine de musiciens se relayent pour donner vie aux mots et mélodies du jeune homme : piano vintage, orgue hammond, une section de cordes, une mandoline ou un banjo font ici largement l’affaire. Les arrangements, toujours très soignés, remémorent la grâce du Lambchop d’How I Quit Smoking. Du déjà entendu, mais du très bien fait aussi.

Mais toute l’originalité de cette country révérencieuse repose sur le chant brisé de Randall Bickford II. Son brin de voix frappe d’entrée, car faisant l’effet d’un Eddie Vedder dénué de maniérisme excessif, et accompagné pour une fois du bon groupe. Le mimétisme est vraiment très troublant sur le chaviré “The Cascade Range”, le genre de morceau qui ne ferait pas d’ombre sur le prochain Sparklehorse. Sans jamais trop élever le ton, mais doublé d’une présence apitoyée, il nous prend par les tripes accompagné d’une vieille gratte acoustique (“The Rejection Letter”), ou seul avec son piano (“You Win”). Bickford se distingue dans ces moments-là comme l’une des voix de perdant les plus crédibles sur le circuit.

Finalement, on peut se donner une raison pour expliquer la relative discrétion de ce groupe : « You Win » est un disque qui ne se partage pas. Réservé seulement aux coeurs solitaires.

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