Retour à l’affaire du collectif canadien le plus débridé, mais aussi l’un des plus intègres. Ce troisième opus n’a pas atténué les ambitions : un rock non identifié, prêt à exploser les frontières des genres.


Parce que basé à Toronto depuis 1999, Broken Social Scene fait presque figure de dinosaure, pionnier à l’égard de cette nouvelle scène rock canadienne dont tout le monde parle depuis Arcade Fire. Ce statut de vieille garde du rock est plutôt un drôle de malentendu, car les autres groupes patriotes qui ont actuellement le vent en poupe n’en sont pas moins des vétérans également. De Wolf Parade, en passant par Destroyer, Arcade Fire, Metric ou encore les New Pornographers… tous sont des trentenaires qui ont déjà roulé leur bosse sous plusieurs formations avant d’être révélés depuis si peu.

Depuis le sacre de You Forgot It in People, l’un des meilleurs albums de l’année 2002, BSC restait bien tranquille. Il y avait bien eu Bee Hives en 2004, une collection de B-sides, qui en dépit de son contenu peu consistant, n’a pas laissé de souvenirs impérissables. Un peu éclipsé devant la ferveur rock que connaît le pays du Caribou en l’espace d’un an, les conducteurs Kevin Drew et Brendan Canning, tapis dans l’ombre, se devaient de répliquer face à cette concurrence stimulante. Et répliquer très fort, quitte à préparer une secousse qui laissera des traces.

Et ce troisième album, long et ambitieux, renoue avec la verve de You Forget It in People : 14 titres, denses, vertigineux, à faire tourner la tête. Autant dire que vu sa profondeur, le tour de manège n’est pas près de s’arrêter au bout de deux ou trois tours. Enregistré et produit par le fidèle David Newfeld dans les studios Stars and Sons, le casting qu’on réunit Drew et Canning est encore aussi prometteur que le Outsiders de Coppola : la douce Feist, Emilie Haines et James Shaw de Metric… les réguliers de Do Make Say Think, d’autres nouveaux Stars, Apostle of Hustle, Raising the Fawn, The Dears, ou encore le rappeur K-Os….

Avec son nombre variant de 5 à 17 musiciens ce collectif se rapproche davantage d’un orchestre que d’un groupe. Etroitement lié aux activistes du label Constellation, Kevin Drew et Brendan Canning ont gardé cette volonté de l’imprévisible, ces cohésions accidentelles de genres qui une fois assemblés érigent une musique désarçonnante : post-rock, jazz, rock industrielle, expérimentale, tribale. Le disque est rempli de percussions, d’arrangements de cordes ou cuivres inattendus, de retournements mélodiques, rassemblés par une production qui mérite vraiment l’attribut d’ « ingénieuse ».

Exemple pioché, “Windsurfing Nation”” est un funk non identifié, à la prouesse rythmique presque drum & bass, Thurston Moore dans le rôle de Nile Rogers (guitariste de Chic). Dans un morceau de BSS, le phénomène d’empilement de couches sonores fait qu’un instrument ne devient jamais prédominant. Idem pour le chant. La manière dont la voix est dirigée, plus comme un arrangement que comme un véritable soliste, est d’ailleurs parfois difficilement reconnaissable : truffée d’effets, comme le faisait jadis Kevin Shields au sein de son vaisseau fantôme My Bloody Valentine.

Il y a bien quelques rendez-vous vraiment mélodiques, « Ibi Dreams of Pavement (A Better Day)” , une spirale émotionnelle palpitante, semblant tournoyer sans fin. Les morceaux sans réels accroches d’harmonies, donnent d’ailleurs cette impression de plonger dans un continuom, et pourraient être interprétés sans fin. D’autres titres basculent souvent vers des instrumentaux presque ambient par moment – (Major Label Debut) perturbé par un chant instinctif, tantôt féminin, tantôt masculin, tantôt asexué. Les percussions sont aussi toujours prédominantes : il y a un peu de Talking Heads, voire de Fela Kutti dans cette démarche visant à heurter les mélodies avec des impulsions de rythmes. Il n’y a qu’en conclusion où le chant semble s’écarter de l’orchestre pour prendre enfin une place de leader, (“It’s All Gonna Break”) élevé par des trompettes, culminant sur presque 10 minutes.

Un pari fou, mais avant tout une grande réussite.

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