Sur la lancée de Black Sheep Boy, le groupe d’Austin publie sur un EP une extented version de leur chef-d’oeuvre de 2005. Des ballades transpercées, les meilleures, à se procurer d’urgence.


Et dire qu’on a failli passer à côté. Allez savoir pourquoi, quelque chose s’était logé dans notre esprit obtus, considérant que ce vulgaire EP n’était constitué que de remix (appendIX ?) ou relecture plus accessible du superbe Black Sheep Boy, paru l’année dernière. Estimant qu’il n’y avait déjà rien à jeter sur l’album originel, on s’était écarté de ce EP comme d’un chat noir, même un brin énervé par cette étrange entreprise. Que voulez-vous, la colère rend parfois aveugle… c’est évidemment votre chroniqueur qui avait tout faux. Et puis en fouinant dans les bacs vinyles d’un sympathique disquaire d’Oberkampf la veille du réveillon du 31, cette pochette magnifique aux élans Shakespeariens est tombée entre nos mains. Impossible d’en écarter le regard, si bien que nous en sommes retournés au bercail en sa compagnie, le portefeuille moins lourd, mais le coeur plus léger. Comprenez que cette pochette est tellement belle (fabuleux coup de crayon de William Schaff !) qu’on l’aurait presque encadré et exposé dans notre salon si madame n’y avait pas témoigné de sa réprobation virulente… freinant ainsi notre élan passionnel. Ah les femmes…

Et voici la vérité : un EP totalement inédit, recueil de chansons inachevées, laissées en chantier à la fin des sessions de Black Sheep Boy. Avec le remords de ces menuisiers amoureux de leur travail qui ne supportent pas de voir de l’excellent bois traîner sur l’étalage, Will Sheff & Co ont réuni les restes des pièces et confectionné avec une nouvelle pièce, exactement la moitié d’un album (5 chansons, 2 intermèdes). Réunis dans une vieille maison d’Austin, ce qui en est sorti est encore une fois exceptionnel.

Petit frère de Black Sheep Boy, cet Appendix est bien son digne rejeton. Du fait de sa courte durée, l’ensemble à l’écoute est d’ailleurs plus fluide, plus coulé que son prédécesseur – sans rentrer dans des comparaisons d’ordre qualitatives. Reprenant les mêmes concepts et les retravaillant, mais sous une nouvelle carrosserie, Will Sheff accompagné de la même big team : (le producteur Brian Beattie, les 10 membres du groupe ainsi une bonne demi-douzaine d’intervenants sur les crédits) ont insufflé une ambiance à la fois plus noire et plus étoilée. Sous ce clair de lune brillent des ballades terriennes, des folk songs sous l’emprise de l’idiome rock. Le disque est parsemé de courtes plages contemplatives, puis prend son élan pour une course folle, à l’instar du relevé “No Key No Plan”… des mélodies sur le fil et des paroles qui frisent la chute :

I’ll Try To Get Right With Myself

So I’ll Grope down that Ladder Again,

Until I’m tumbling -But Really I Just Want to Slide,

I Want To Crash-land.

D’autres passages prolongent les principaux thèmes mélodiques façonnés sur l’opus précédent. “Black Sheep Boy #4” rallonge avec subjection le poème du fameux morceau de Tim Hardin repris sur le LP et qui a donné naissance à l’album, toujours sous une enveloppe nébuleuse. “Another Radio Song” débute avec les notes d’“In a radio Song”, et à titre symbolique passe le relais à une nouvelle ballade désarmante (mais aussi sur “A forest”). Là-dessus, Will Sheff s’en donne encore à coeur joie en s’étripant les cordes vocales. Cette énième performance nous rappelle qu’avec Jonathan Meiburg (Shearwater), Okkervil River compte en son sein deux des meilleurs chanteurs de folk core sur notre bonne vieille Terre. En face B, la dernière épaisse marque du sillon introduit “Last Love Song For Now » une fausse ballade au tempo plus soutenu et quelques trompettes, et se termine comme il avait commencé, un semblant de valse de violons.

Avec un nouveau disque parfait, Okkervil vient également de rentrer indirectement dans la postérité. La citation du triste clown Richard Pryor sur les crédits de Black Sheep Boy résonne encore plus fort ces jours-ci :

« I Ain’t Trying To Be No Good. I’m Happy. »
(Je n’ai pas essayé d’être bon. Je suis heureux.)

-Lire également la chronique de Black Sheep Boy

Black Sheep Boy Appendix sur le site de Jajaguwar