Will Oldham alias, Bonnie ‘Prince’ Billy et le quintet expérimental de Chicago s’allient pour un disque de reprises iconoclastes. Du grand art.


Le choc d’une rencontre entre le prince de la country lo fi et l’une des formations phares du rock expérimental allait forcément provoquer chez les fans des deux clans quelques boutons de fièvre. Il est vrai que sur papier, l’association promettait de bien belles surprises tant le spectre musical de chacun peut être aux antipodes et pourtant intimement lié.

Depuis plus de dix ans, Tortoise et Will Oldham font partie de ces artistes qui comptent, tant par leur vision singulière que par leur inspiration qui ne leur a pratiquement jamais fait défaut. Les deux pionniers ne s’étaient jamais rencontrés sur disque, mais tous deux sont des habitués des collaborations improbables : Oldham se plait à changer de pseudo et groupes selon l’humeur et passer des nuits blanches en studio en bonne compagnie : Matt Sweeney, Silver Jews, Ryan Murphy, Nicolai Dunger, le superbe EP Almagamated Sons of Rest avec Jason Molina et Alasdair Roberts… Quelques figures du post rock font partie de son entourage, tel son vieil ami le guitariste David Pajo, David Grubbs et Dirty Three. Et puis le barbu dégarni a tout de même participé à l’un des disques les plus emblématiques du genre, le Spiderland de Slint (bon il est simplement crédité pour la pochette, mais tout de même). Quant à la formation rock amphibie de John Mc Entire, ses travaux avec Stereolab, Tom Zé et The Ex avaient laissé quelques bons souvenirs.

The Brave and The Bold, titre vraisemblablement inspiré d’une aventure de la ligue des superhéros (!!!), opte pour la rencontre iconoclaste des genres. Le choix des 10 reprises est souvent judicieux, piochant entre poids lourds mainstream, gratin rock avant-gardiste, songwriters méconnus, musique brésilienne et coups de coeur indé. Si l’on devait comparer ce disque à ses géniteurs, nul doute que ce serait vers Bonnie ‘Prince’ Billy que l’on pencherait, car c’est un disque de chansons, même si très riche aussi en terme d’ambiances. L’entrée en la matière très exotique par “Cravo e Canela” du brésilien Milton Nascimento affiche cette notion d’éclectisme musical. Finalement, ce sera le morceau qui se rapproche le plus du style de Tortoise, par ses clés mélodiques abstraites et son influence world.

On s’y attendait un peu de la part des paysagistes sonores de Tortoise, lorsqu’ils s’approprient quelques standards rock, ceux-ci deviennent méconnaissables. Mais c’est aussi le cas d’Oldham lorsqu’il reprenait en concert “Big Balls” d’AC/DC… L’intro de clavier fantômatique du “Thunder Road” de Springsteen, l’une de ses mélodies les plus célèbres, ne laissera aucune chance aux admirateurs du « Boss ». Il ne reste de la version originale que les paroles Beatnik. Le son rappelle les synthés crades de ces Giallo italiens de la fin des années 70, flippants. La production est foisonnante, et les instruments de John McEntire (claviériste et batteur), Bundy K. Brown (guitariste et bassiste), Dan Bitney (claviériste et percussionniste) Doug McCombs (bassiste) et John Herndon (batteur et claviériste) pullulent d’idées, cherchent à se frayer chacun un chemin, d’établir une nouvelle vie à partir du squelette des originaux. “Daniel”, une vieillerie de cet empatté d’Elton John, se transforme ainsi en ballade industrielle, une traversée d’un désert radioactif d’où s’extirpe une mélodie poignante. Avec le même traitement synthétique, “Love Is Love” de Lungfish laisse échapper des raisonnantes à la Suicide. Ce sont deux des titres les plus incontournables de l’album.

Paradoxalement surprenant, la reprise de Devo est certainement l’interprétation la plus fidèle du lot, un peu décevante. Ce qui est dommage car lorsque le super groupe s’attaque à la branche rock radical, les guitares abrasives des Punk rockers réactionnaires Minutemen deviennent troubles, noyées dans un beat plus tentaculaire et revigorant.

D’autres titres ont conservé l’essence mélodique des versions originales : c’est le cas du “Poncho” du cowboy crooner Don Williams. Une vraie ballade sensible, flottant sur un nuage d’arrangements légers : xylophone et orgue Hammond. “The Calvary Cross” du virtuose folk de la six-cordes Richard Thompson est aussi la pièce de résistance du disque. L’atmosphère rêche et traumatisante composée par l’ancien Fairport Convention a été agrémentée d’un arpège poisseux à l’empreinte John Mc Entire et quelques choeurs célestes discrets. La voix de Bonnie ‘Prince’ Billy atteint ici – et comme sur « Daniel » – des sommets d’émotion. Will Oldham s’est déjà rapproché de ce format limite pop sur Joya ou I See a Darkness, et c’est bien souvent dans ce cas de figure que les étincelles se produisent. The Brave and the Bold est rempli d’audace et d’ingéniosité, c’est un succès. Mais ça, ce n’est pas une surprise.

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