Nouvelle merveille qui illumine le versant intimiste de la musique instrumentale, cette lanterne promène sa lueur à travers les styles et défait les cloisonnements de toutes sortes.


Suivre la lumière. Ne pas la perdre des yeux, ces yeux qui, précisément, écoutent. Tendre l’oreille, attirée par les cordes délicates d’un violon, le murmure d’une guitare acoustique, le battement répétitif d’un tambour, la pluie de notes d’un piano ou la plainte sourde d’un mélodica – deux nouveaux venus parfaitement intégrés dans l’univers des Clogs. S’enfoncer dans cette forêt clairsemée de sons, celle que l’on a pas quittée depuis Stick Music (2004), celle où l’on se perd encore et encore, moins désireux de trouver une issue que d’en arpenter les moindres recoins. Ne pas se retourner, suivre la lumière. Marcher à pas de loup, parfois courir (“Death and the Maiden”, “Voisins”). Après qui, après quoi, peu importe, tant que la musique éclaire nos pas.

Après quoi court les membres de Clogs ? La poésie. On imagine pire dessein, horizon moins séduisant. Beauté des formes épurées, rimes des motifs mélodiques, fin dosage des intensités harmoniques, subtiles progressions structurelles. Dialogue de l’ombre avec la lumière. La musique dite instrumentale trouve avec le groupe Clogs, et ce Lantern en particulier, un représentant majeur. L’éclaireur magnifique d’une tendance dorénavant très prisée, que les formations post-rock ont contribué à dynamiser (et plus encore que Godspeed You ! Black Emperor, on soulignera ici l’influence déterminante d’un groupe comme Gastr Del Sol), et qui demeure un des terreaux musicaux actuels les plus fertiles.

De Max Richter à World’s End Girlfriend, de Man à Bell Orchestre, ou encore de Iron & The Albatross à The Books – pour ne citer que quelques passionnantes formations du moment -, l’étendue des propositions s’avère en effet d’une étonnante variété, difficilement assignable à un style unique. Comme si débarrassée des mots cette musique instrumentale parlait tous les langages à la fois, brouillait les cartes pour mieux les redistribuer (quoique Padma Newsome se risque avec bonheur, comme sur le précédent opus, à chanter sur le titre éponyme de l’album). Avènement d’une famille de musiciens exigeants qui évoluent dans une sorte de monde parallèle inclassable, un univers indéfini voué à être tout autant un champ d’explorations tous azimuts que celui d’expérimentations ingénieuses.

Un cadre alternatif, en somme, qui correpond d’ailleurs pour certaines de ces formations d’aventuriers du son – littéralement indépendantes – à des projets annexes (les membres de Belle Orchestre jouent avec Arcade Fire, les deux têtes pensantes de Clogs avec The National,…), dont l’importance s’est faite grandissante, voire vitale (artistiquement s’entend). Laboratoires ou villégiatures sonores, à l’instar des albums de Clogs ouverts aux quatre vents et aux échanges fructueux (on retrouve les membres de Man sur un titre de Lantern). Le rock, la pop, le jazz, la musique classique ou le folk (celui qui puise ses racines aussi bien en Afrique qu’en Amérique du nord ou en Europe de l’est) nourrissent ainsi des compositions sinueuses, mais sur le mode mineur, sans qu’un genre ne prenne le pas sur les autres, de sorte à éviter tous apparentements ou filiations trop évidents qui viendraient brimer une liberté inhérente à leur écriture.

Lantern, déjà le quatrième album du groupe, confirme par ailleurs, outre l’originalité des compositions, que la veine adoptée est résolument minimaliste et intimiste : la profondeur des thèmes, le rapport charnel aux instruments, le goût pour les nuances, les murmures de cordes et les échappées plus abstraites en font une néo-musique de chambre. Une chambre dont les quatre murs éclairés à la bougie laissent apparaître des ombres fuyantes, arabesques fugitives que les mélodies dessinent d’une manière plus limpide que par le passé. Les Clogs sont des montreurs d’ombres qui rendent audibles nos passions, ces sentiments ou désirs cachés en nous-mêmes qu’un intervalle sensible entre deux notes émises laisse s’échapper pour venir nous submerger d’émotions. Propagation d’une lumière par-delà la musique. Belle offrande.

– Le site de Clogs.

– Le site de Talitres.

– A écouter : “Lantern”.

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