Voici une belle leçon de sagesse par un cinquantenaire poète, qui nous offre un subtil recueil de chansons trempées dans le temps.


Le livret fait plaisir à voir et autant à feuilleter. De belles photos, les paroles des chansons, dans un format hybride, entre le livre-pamphlet et la carte postale, voire un peu dans l’esprit du 33 tours : c’est un bel objet en somme. Le contenu n’a pas à pâlir du contenant : de belles chansons, affinées avec le temps qu’il faut, transpirent la subtilité que revêt souvent la lucidité, celle en tout cas qui, tel Socrate, sait qu’elle ne sait rien.

Marcel Kanche, vous ne le connaissez peut-être pas, car il est de ceux qui sont dans l’ombre des grands. Quels grands me direz-vous ? Marcel Kanche n’est pas né de la dernière pluie. Auteur-compositeur-interprète (chant, guitare, mandoline), il est aussi parolier pour ­M et Alain Bashung. Sa musique, cependant, n’évoque vraiment pas le premier, un peu le deuxième, mais plutôt Miossec et Daniel Darc. A ce propos, le premier titre, « Elle m’en veut », ne souffrirait pas sur une compile, avant ou après le « Je m’en vais » de la dernière galette du breton. Se dire qu’il a élu domicile, comme tant d’autres de ses compatriotes (Dominique A, Françoiz Breut).


« Elle m’en veut, de mettre de l’ombre, dans sa joie, dans sa joie, Elle m’en veut, de n’être qu’une ombre, qui dort la nuit, se dore le jour » : tout un chacun vivant ou ayant vécu en couple connaît bien cette histoire… C’est celle des reproches qui font suite à la fièvre de l’amour. Celle qui arrive avec le quotidien, le train-train de la vie, et qui, parfois, finit par l’étouffer, débordant de partout…

Vertiges des lenteurs – quel beau titre – est son cinquième album, alors qu’il fête ses cinquante ans. Enregistré dans les Deux-Sèvres, dans un vieux quartier de Niort, Marcel Kanche s’est isolé pour mieux bricoler ses chansons. Les ambiances y sont fantastiques, révélatrices d’une sérénité que l’on envie – probablement la récompense de l’âge – . Car pour caresser les paroles, souvent profondes, il n’a pas hésité à faire appel à pas mal d’adjuvants. Des arpèges (le violoncelle de Vincent Ségal), de l’harmonica (Piers Faccini sur « Jamais indemne ») à la basse accordéon (Arnaud Méthivier), de la guitare électrique de John Greaves (apocalyptique sur « Où que tu ailles ») aux muses féminines (Isabelle Lemaitre, Anna Chédid et Sylvia Laubé)… Enfin, bref, toutes ces participations ne doivent pas pour autant éclipser le duo qui l’accompagne : Mino Malan à la batterie et Nicolas Pabiot au piano. Ceci étant dit, on peut, pour tenter de donner une idée de ce à quoi ressemble ce maelström, évoquer tout l’univers qui entoure Howe Gelb et consorts (Giant Sand, Calexico), couplé à celui des bretons évoqués plus haut. Oui, on imagine tout à fait écouter ce disque en contemplant l’océan.

Son chant, soulignant souvent les mots, surtout dans leur consonances graves (les R sont ici magnifiés, comme chez Miossec), peuvent aussi parfois évoquer Serge Gainsbourg.

Le disque se termine avec un « Si je devais mourir », qui n’est pas une réponse du berger à la bergère (en l’occurrence, Boris Vian, « Je ne voudrais pas mourir »), mais un emprunt à l’écrivain Eugène Savitzkaya. Comme quoi rien, absolument rien, n’a été laissé au hasard. Ou plutôt si, mais un hasard qui n’est pas anodin.

Au fait, Marcel, quand est-ce qu’on déménage à Bruxelles ?

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