Le vent de décembre fait siffler les couloirs d’attente du cinéma le Grand Rex. Mais c’est un autre air qui nous attend dans un bar situé à quelques pas d’ici : nous avons rendez-vous avec le canadien Howie Beck. Howie Beck ? mais non ! pas Hansen, plutôt ce talentueux songwriter, auteur du charmant et remarqué Hollow en 2001. Depuis, ce fin songwriter semblait avoir pris congé dans sa bonne vieille ville de Toronto, sans laisser de signes de vie. Il fallait donc éclaircir certaines choses. Passé les politesses d’usage, il nous apparaît comme un musicien à la trentaine bien tassée, dont la personnalité reflète avec honnêteté l’esprit de ses chansons : Simple, généreux, timide, nostalgique, poli, discret.


Détail infime mais révélateur de cette belle âme, Mr. Beck répond toujours à nos questions d’une manière embarrassée. A tel point qu’il s’excuserait presque de ne pas donner de réponses plus « consistantes», ce qui est évidemment faux. Chez Howie Beck, honnêteté rime avec simplicité. Une denrée rare de nos jours.

Pinkushion : L’année dernière, à peu près à cette même période, j’interviewais un vieil ami à toi, Hayden. Nous évoquions la communauté française à Toronto, Hayden ne parle pas très bien français. Est-ce que toi tu parles français ?

Howie Beck : Non, je parle un français minuscule. J’aurai aimé pouvoir le parler, mais je ne l’ai pas assez étudié. Lorsque j’écoute des conversations en français, je comprends un peu, mais si les gens parlent trop vite, ce n’est pas la peine…

Ce disque éponyme est ton troisième album, et ton premier depuis cinq ans. Pourquoi es-tu resté si longtemps absent ?

L’album est prêt depuis un an et demi maintenant. Ca a pris beaucoup de temps, l’histoire est ennuyeuse. Avant tout, il a fallu trouver le bon label pour sortir le disque. L’année dernière, il est sorti au Canada. Mais avant ça, cela a pris beaucoup de temps parce que je fais mes disques par mes propres moyens, je peux être à la fois très rapide et très lent, il y a eu un peu de ces deux facteurs durant ces cinq années. Ça peut être très difficile pour moi de rester concentré, et parfois c’est l’inverse, je me concentre trop. Ce disque a vraiment été difficile à terminer.

Il était question au départ de faire un double album si je ne me trompe…

Brièvement. Je ne voulais plus m’arrêter d’enregistrer et puis j’ai finalement trouvé que c’était une idée stupide. Parce que d’ordinaire ce qui se passe avec les doubles albums, c’est que tu aurais souhaité que finalement la personne n’en sorte qu’un simple. Tu vois ce que je veux dire ?

Tout à fait, combien de chansons avais-tu en stock ?

Je n’en ai aucune idée parce que les autres chansons laissées en chantier ne sont tout simplement pas terminées. Je continuais d’enregistrer, puis j’arrêtais, je reprenais puis j’arrêtais… je devenais fou. Et finalement, j’ai décidé d’arrêter quand j’en ai eu assez en stock. J’ai du aussi attendre parce que j’ai changé de maison de disque. L’un des patrons de mon label précédant s’est suicidé. (NDLR : 13 Clouds) C’était devenu très triste et compliqué au sein de la structure… (silence). J’ai du alors trouver un nouveau contrat et je pense qu’Ever Records fait un excellent travail.

Ton précédent album Hollow sorti en 2001, a reçu de très bonnes critiques. Je me souviens même qu’à l’époque le single Maybe I Belong passa sur une chaîne musicale française (MCM). Est-ce que tu étais au courant ?

Oui, je l’ai su. J’étais supposé venir en France pour défendre le disque et puis est arrivé cette tragédie, alors tout s’est brusquement arrêté. J’ai dû en quelques sorte changer nos projets. Depuis, je suis allé en Angleterre il y a deux ans pour faire quelques concerts, mais c’est vraiment la première fois que je reviens en Europe depuis 2001. Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis parti, le monde a changé, les gens aussi et j’ai un nouvel album. C’est excitant d’être de retour, les choses sont tout simplement différentes.

Est-ce que tu penses que cette période d’absence fut du temps perdu ?

Hum… beaucoup de cette période fut du temps perdu. Mais tu apprends aussi beaucoup de ces expériences. Tu sais, j’essaie à chaque fois de tirer le maximum de mon travail, devenir meilleur. Mais parfois c’est une perte de temps.

Sur cet album éponyme, tu explores différents styles, plus qu’auparavant. Il y a cependant toujours cette guitare acoustique qui marque l’empreinte de ton style. Te considères-tu comme un folksinger ?

Pas du tout. J’écris généralement sur une guitare, alors bien sûr ces parties acoustiques terminent sur l’enregistrement. Mais j’aime explorer différentes textures, comme tu disais. La prochaine fois que je ferai un disque, ce sera encore très différent. C’est vraiment un challenge pour moi.

Pourquoi as-tu attendu ce troisième album pour lui donner un titre éponyme ?

J’ai pensé que ce disque était celui qui me représentait le mieux, le plus proche de moi.

Quelque chose comme un nouveau commencement ?

Oui, ou bien comme une fin. Lorsque j’ai terminé l’album, j’ai commencé à réfléchir et me dire que je n’enregistrerai peut-être pas un nouvel album.

Pourquoi ?

Parce qu’écrire et enregistrer des chansons est quelque chose que j’adore. Mais tout ce qui gravite autour… pour moi c’est terrible. Je suis une personne assez réservée qui aime passer beaucoup de temps seul. Tourner et donner des interviews devient de plus en plus difficile. Néanmoins, la dernière tournée fut vraiment agréable, on s’est beaucoup amusé et l’audience était très chaleureuse. Ça rend les choses plus faciles…

L’album contient quelques invités prestigieux, Matthew Caws de Nada Surf, Ed Harcourt, Feist… Comment ça s’est passé ?

Ce sont tous des amis. Ils étaient tous de passage en ville. Ed Harcourt, qui est britannique, était en ville pour jouer quelques shows. Il est venu dîner chez moi. Je lui ai fait écouter une chanson sur laquelle j’étais en train de travailler et il m’a offert ses services. Feist est une bonne amie, elle est venue chanter sur quelques titres. Matthew Caws, c’est pareil. Tous les trois ont juste chanté sur l’album. Ce fût vraiment des collaborations qui ont découlé d’opportunités, sans rien de préétabli.

Peux-tu nous parler de ton processus d’écriture ? Comment procèdes-tu ?

Pour moi, c’est un peu comme différentes étapes. J’aurai souhaité parfois être plus prolifique, mais je ne suis pas le genre de mec qui se réveille le matin et pond trois chansons avant le petit déjeuner ou enregistre des disques avec 15 chansons. Je connais certains songwriters qui écrivent très vite et qui sont très prolifiques. De mon côté, j’essaie de garder un certain niveau de qualité. J’écris beaucoup, mais peu de choses sortent. Dans un certain sens, je peux être prolifique lorsque je travaille seul, mais lorsque quelqu’un d’autre s’implique dans le processus, cela devient plus compliqué. Mon dernier album a pris plusieurs années avant d’être achevé. Je joue de tous les instruments sur l’album, à l’exception des cordes.

Peut-être aussi qu’écrire des chansons très mélodiques prend plus de temps non ?

Merci, je prends ça comme un compliment. Peut-être, je ne veux rien forcer du tout, j’essaie d’être le plus honnête possible. Je ne veux pas copier qui que ce soit, et cela prend du temps.

Tu produis aussi tes albums.

J’ai toujours produit mes propres albums. Je commence juste à travailler pour d’autres personnes, mais je ne veux pas que cela devienne un job à temps plein. J’ai reçu quelques offres, mais je ne veux pas que cela se transforme en routine.

La production, est-ce une voie que tu as envisagée si tu arrêtais ta carrière de musicien ?

Probablement. Lorsque je fais de la musique, il faut que je travaille sur des choses auxquelles je prends plaisir. L’album de Jason Collet que j’ai produit fut un challenge. Nous avons beaucoup discuté au sujet de ce que nous voulions faire. J’ai travaillé vraiment dur et ça s’est avéré une chose merveilleuse. Je pense qu’ Idols of Exile (2005) est vraiment un excellent album. J’aimerai produire un autre album qui se déroule dans des situations similaires, où l’artiste, le groupe et moi avons une vision commune. Mais avant tout, il faut que j’aime cette musique. Alors, j’ai produit un album en 2005, je ne le ferai plus avant au moins deux ans (sourire). Je veux attendre de voir ce que je peux apporter à la musique.

Qu’aimerais-tu faire alors si tu arrêtais d’écrire des chansons ?

J’adorerai prendre mon temps, pouvoir dormir ! (rire)

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Toi et Hayden êtes très proches. Tu as participé à tous ses albums et aussi produit certaines de ses chansons. Peux-tu m’expliquer votre relation ?

Nous sommes vraiment de bons amis. Chez lui, je joue souvent de la basse ou de la batterie. Mais la plupart du temps, lorsque nous sommes ensemble on regarde des films. On ne parle pas tant que ça de musique.

L’année dernière, je lui avais demandé ce qu’il avait fait pendant cette longue absence qui a suivi son premier album. Il m’a aussi répondu qu’il a beaucoup dormi ! Ce doit être une discipline nationale à Toronto. (rires)

Oui. C’est certainement à cause du temps !

Y a-t-il une scène musicale spécifique à Toronto ?

Il y a une poignée de scènes différentes qui se combinent entre elles. En ce moment, il y a une scène très populaire qui se passe au Canada. Mais c’est dur à dire qu’il y ait vraiment une nouvelle scène. La plupart des groupes canadiens qui ont du succès actuellement ne sont pas de jeunes artistes, ils n’ont pas 20 ans… Des groupes comme Arcade Fire ou bien, Metric, les Broken Social Scene, ont la trentaine, tous ont joué dans d’autres groupes avant où ont eu éventuellement une carrière. Ils ont vraiment une manière différente de penser et aussi en terme d’attitude que par exemple Seattle dans les années 90. Les gens sont vraiment excités par ce qui se passe en ce moment…

Et en tant que songwriter canadien, est-ce que tu sens cet état, cet engouement national ?

Parfois… Mais il ne faut pas être distrait par cet engouement. Je me focalise juste sur ce que je fais. J’ai connu beaucoup de galères durant ma carrière, alors pour moi c’est pareil, rien n’a changé. La plupart de ces groupes sont néanmoins mes amis, mais je ne pense pas que ce phénomène m’aidera vraiment à vendre des disques.

Lorsque Hollow est sorti, beaucoup de journalistes t’ont comparé à Elliott Smith. Maintenant qu’il est parti, peut-être que la place est à prendre ?

Ce fut vraiment une histoire triste. Nous avons beaucoup été comparés à la sortie d’Hollow, ce qui -je l’avoue – fut assez frustrant à l’époque. Je pensais que je faisais quelque chose d’original, et puis tout d’un coup tout le monde me parlait de lui. Je ne connaissais même pas sa musique… En même temps, lorsque j’ai écouté ce qu’il faisait, j’ai trouvé qu’il était bon. Alors, c’était cool (rires). Je pense que sur ce nouvel album, plus personne ne me comparera à lui. Mais pour en revenir à sa mort ce fut vraiment une chose très triste. Il était question que je fasse une tournée avec lui, il y a de ça quelques années. Evidemment, ça ne s’est pas fait.

Mais est-ce que tu sens les similarités entre ta musique et la sienne ?

Nous avons probablement les mêmes influences. Ce sont toujours des songwriters.

Peux-tu enfin me donner tes 5 albums préférés ?

Je ne peux pas. Vraiment. Je peux te donner par contre mes cinq films préférés. (rires).
En ce moment, je peux mettre en numéro 1, Crimes et délits de Woody Allen.
N°2 : Du silence et des ombres, avec Gregory Peck.
Voyons… (long silence) peut-être bien que non finalement, je t’en donnerai seulement deux !
Je suis tellement nul à ce jeu-là. Tu sais c’est comme lorsque tu veux acheter un disque : tu vas dans un magasin de disques et tu montres ta liste de disques que tu veux en ce moment. C’est un peu ce qui se passe maintenant.

Mais si tu devais – sous contrainte d’un couteau sous la gorge – expliquer ta musique à un néophyte, quels albums à part les tiens lui conseillerais-tu d’écouter ?

C’est dur à dire. A vrai dire, je ne sais pas à quoi ressemble ma musique. C’est vraiment à l’intérieur de moi. Tu veux vraiment connaître mon album préféré ? Abbey Road. Vraiment je ne sais comment sonne ma musique, parce que je n’ai pas écouté ma musique en tant que simple public. C’est vraiment impossible pour moi.

Merci.

Merci à toi, j’espère que je n’ai pas été trop ennuyeux…