Les cousins espagnols de Mogwai font une entrée discrète sur la scène post rock. Guitares, basse, batterie et samples intrigants : une combinaison revisitée à nouveau, pour un résutat des plus orthodoxes.


La chapelle post-rock compte de nombreux fidèles, réunis autour des icônes improvisées que sont Slint, Tortoise, Mogwai, Godspeed You Black Emperor !, parmi tant d’autres. Autant de figures singulières d’un style qui n’en finit pas de se développer, de repousser ses limites, de se répéter aussi. Post-rock : la dénomination semble indiquer un faisceau de possibilités ouvertes par l’abandon des codes habituels du rock. Un après-rock en somme, qui dépend de ce dernier pour mieux le transcender. Abandon des chansons formatées, des modèles entendus et des charismatiques chanteurs. Le post rock n’est pas vraiment glamour, du moins à ses débuts. Mouvement presque conceptuel, lorsqu’un collectif de musiciens lambda décide de faire violence au rock, de le rendre exsangue et hybride, le tout avec un malin plaisir. Ces mystiques d’un nouveau genre ont établi, au fil d’une histoire d’une quinzaine d’années déjà, de nouveaux critères, comme autant de post-commandements. Guitare sous toutes ses formes, tantôt cristalline tantôt saturée, conformément à la leçon inaugurale et magistrale de Slint. Section rythmique imposante, avec une batterie-chape de plomb qui en fait des tonnes. Les descendants (dissidents?) ajoutent à cette recette sacrée quelques artifices frivoles : samples variés et bruitages divers. Parfois, une voix – réelle cette fois-ci – fait son apparition, car on a tort de penser que le post rock se doit d’être scrupuleusement instrumental.
A bien y réfléchir, ce qui se voulait être une rupture de style est finalement devenu un mouvement établi, avec des critères aussi précis que ceux dont ils voulaient s’écarter.

C’est précisément l’impression que donne Zul, à la première écoute de El Golpe de la aguja. Dès l’ouverture de « Maya Deren », on se dit que Zul a bien appris sa leçon, et possède une flagrante parenté avec Migala, autre figure alternative du rock espagnol. Une composition toute en modulations, avec quelques envolées mélancoliques du plus bel effet. Avec ses arpèges clairs, Zul évoque aussi Hood, par sa densité mélodique et une certaine ambiance crépusculaire cultivée avec soin. Mais Zul ne s’abîme pas dans la torpeur, et les morceaux suivants s’avèrent plus énergiques. Je pense notamment à « Txargorri (A pupille) » et son joli jeu de guitares à deux niveaux : une lead-guitar tout en finesse, relayée par des riffs plus acérés. Ou à « O » dont le thème pourrait être celui d’une musique de film, et qui prend rapidement de l’ampleur grâce à une véritable symbiose instrumentale. Une composition réellement intelligente, avec suffisamment de revirements et de tensions pour satisfaire tout auditeur exigeant. Chassez la langueur, elle revient au galop. « Me da igual que sea imposible » arrive sur la pointe des pieds, avec son piano plaintif et ses voix féminines sussurées, tandis que « 0 » affiche un certain flegme, qui tend parfois à l’ennui.

Car El golpe de la aguja est au post-rock ce que le soufflé est à la cuisine : une recette difficile dont la réussite n’est jamais garantie. Zul flirte en permanence avec le sublime et le médiocre à la fois. Parfois, il suffit de peu de choses pour faire basculer un morceau : l’irruption inattendue d’une voix à bout de souffle sur « Ambigu 3:33 » parvient à nous faire oublier la saturation indigeste qui la précédait. Cela est valable également dans l’autre sens, et une composition plus que correcte peut se montrer soudainement poussive, à cause de prises de position regrettables. Lorsque la guitare se fait trop bavarde, et matérialise un nuage brouillon qui nuit à la composition dans son ensemble. Par exemple sur la fin de « La estrella del porno jubilada » ou sur le break interminable de « Nadie se acuerda de Portugal ».
Bien sûr, il faut préciser que El golpe de la aguja est sorti en 2001 en Espagne, et qu’il a donc fallu attendre presque 5 ans pour le voir distribué en France, grâce à Basement Apes Industries.
Cinq longues années qui pénalisent Zul par une impression de déjà entendu, car le répertoire underground du post rock s’est quelque peu vulgarisé. A ce bémol près, cela reste un exercice de style réussi, réalisé par des élèves modèles visant les félicitations du jury.