La mante rayonnante que voici prouve deux choses : l’Espagne est toujours un eldorado indie ; le rock sombre aux piments latins ne manque pas de charme.


Croyez-vous qu’on puisse juger du développement économique au gré de la culture rock ? En d’autres termes, la vigueur de la scène espagnole indépendante, poussée entre autres par les festivals Benicassim et Sonar, est-elle adjacente au formidable élan de la péninsule ibérique ? The Sunday Drivers, Migala, Dusminguet, Zul et Manta Ray : autant de groupes très divers qui évoluent dans l’indie et qui font de l’Espagne une place de choix. On en connaît même qui y déménagent pour enregistrer leurs albums. Voire qui s’y installent pour de bon (n’est-ce pas le belge Lalalover?).

Les groupes en español évoluent chacun dans un style bien défini. Manta Ray officie dans la sphère la plus sombre du rock, celle qui commence chez Joy Division et se termine par Film School, en passant par les regrettés Morphine (si on brasse large). Oui, ça faisait longtemps qu’on entendait plus des cuivres, et particulièrement du saxophone, mariés à une rythmique endiablée, sans tomber dans les travers du ska pour mamie ou du free jazz brise bonbon.

Manta Ray en est – pourtant – déjà à son cinquième album, et on en veut à la terre entière de nous avoir privé des précédents opus, distribués hors frontières de manière plus que confidentielle depuis l’album Pequeñas Puertas que se Abren y Pequeñas Puertas que se Cierran (1998). Originaires de Xixón, Nacho Álvarez (basse, samples) et José L. Garcia (guitare et chant) forment le groupe en 1992, et sont entourés aujourd’hui par Frank Rudow (claviers et percus) et Xabel Vargas (batterie). C’est Roger Seibel (Calexico, Sun Ra, Come, Yo La Tengo, Pussy Galore Tortoise) qui s’est retrouvé derrière la table de mixage, à Phoenix (Arizona, si, si)…

L’album étonne par une diversité très cohérente qui sent bon la maturité, et pour cause : des titres de rock que l’on peut qualifier de noir, proches de ce que les britons savent faire de mieux, côtoient des morceaux plus enjoués (pas trop non plus, décorum oblige) que l’on s’imagine écouter dans une cave obscure à fond de balle. Le premier titre « Don’t push me », amène, crescendo, très bien la sauce, et rien ne laisse encore augurer l’hispanité de ses membres, puisque le chant est en anglais. Le batteur semble être une bête (excuse my french). Son martèlement efficace et acharné éveille les sens sur le bien nommé « No tropieces » (traduction : ne tombe pas à la renverse), très bien secondé par une basse envoûtante et des cuivres entraînants, rendant le bruit perspicace, et trouvant son apogée sur le titre éponyme.

Mais c’est sans aucun doute à partir de « Por que evadirse a otros mundos aun mas pequeños » que tout l’album prend son sens. L’intro, une longue plage instrumentale et rythmée au diapason, se termine avec le chant étouffé de José Garcia, qui divague autour du thème de l’intitulé, plongeant dans une atmosphère de plus en plus chargée, et de conclure «Por que evadirse a otros mundos aun mas pequeños si mis ojos tambien se cierran ante lo real?» ( traduction : pourquoi s’évader dans des mondes encore plus petits, si c’est mes yeux qui se ferment aussi devant la réalité?). Les titres au tempo plus lent ajoutent leur pierre à cette ambiance plombée et si caractéristique d’un certain modus operandi des eighties, avec des chutes apocalyptiques. C’est sur « Como la sal » que les indécrottables Jay Dee sont plus qu’évoqués. Bizarrement, sur « Todo puede Cambiar », aux sons d’un piano de bar enflammé (comme sur l’ultime Electrelane qui lorgne sur le titre de l’album…), le son y est tellement anglo-saxon qu’il semble que ce soit un anglais qui chante en castillan. « No avant-garde (electronik) » ne fait qu’abonder dans le même sens, puisqu’ici c’est véritablement en anglais qu’on vocifère. En parlant d’avant-garde, « Mi dios mentira » (trad : mon dieu mensonge) doit avoir son lot de mécontents dans un pays encore très catho.

Enfin, l’album se clôt par un superbe « Torres de Electricidad », bercé par des nappes de violons expressionnistes (comme sur le poignant « Añada para Celia ») qui pleurent derrière une rythmique bien rôdée. Un grand album, il n’y a aucun doute là-dessus. Que viva España, la la la la la la la la… Ok j’arrête la sangria…

– Le site de Manta Ray