Jolie Holland réinvente un langage musical à la croisée du jazz, folk, dream pop, country et quelques autres figures rustiques. Des chansons cabossées, sans âge. Attention aux hallucinations.


Comme bien des hommes qui ont croisé le chant spirituel de Jolie Holland, nous sommes tombés sous son charme. A vrai dire, nous ne l’avons vue qu’à de rares occasions : quelques pochettes floues, le visage à moitié caché par sa longue chevelure rousse raide… mais ce n’est pas bien grave car sa voix recèle un pouvoir d’évocation proprement troublant. Tout comme Nina Simone, Hope Sandoval, Buffy Saint-Marie et quelques autres créatures charnelles, sa voix nous emporte le temps d’une chanson dans un étrange état de léthargie émotionnelle.

Originaire du Texas, mais basé à San Francisco, cette protégée de Tom Waits fut très vite remarquée par le label épicurien Anti via une poignée de démos, illico compilées sur son premier album. On y entendait un timbre de voix unique, à cheval entre divers genres du terroir et accompagné d’un big band qui aurait pu répondre au doux nom des Palace Brothers. Pour son premier véritable album studio en 2004, (Escondida), sa renommée traverse l’océan atlantique pour laisser derrière elle un parfum intemporel de vieille Nouvelles Orléans.

Sur cette seconde virée en studio, l’ambiance est moins austère que par le passé. La belle et ses musiciens ont probablement quitté les studios pour poursuivre les sessions sous un chêne au sommet d’une colline, illuminé d’un clair de lune. Spingtime can kill you est un disque nocturne rempli de vie, on entendrait presque derrière cet orchestre de folklore le son d’un ruisseau coulant à deux pas. Ces ambiances de nuit laissent pénétrer une brise fantomatique, limite gothique, au travers de ses larges influences : folk, blues, gospel, jazz se rejoignent sur une route linéaire dont ne perçoit pas la fin à l’horizon. Ce qui est d’autant plus troublant, c’est le poids cinématique que transportent ces chansons derrière ce semblant d’immobilisme. Elles nous renvoient des images d’une clarté surprenante.

La section rythmique est d’une sobriété exemplaire… et pourtant elle dessine sur “Springtime Can kill You” des impressions encore plus puissantes que certaines textures d’instruments « mélodieux ». Pour illustrer ces histoires mélées de désespoir, des balais ouvrent une brèche dans le temps, et recréent des gouttes de pluie tombant sur le trottoir. Autre part, un air country imprégné d’un bottleneck imite le grincement du plancher dans une grange (“Ghostly Girl”) ou le balancement d’un rocking chair sur une terrasse. Le son d’une trompette bâillonnée par de la soie nous renvoie à la solitude des champs de coton de la region du Delta. Oui, ces instruments nous parlent : un glockenspiel, une guitare hawaïenne, une lap steel, une vieille guitare Gretsch dont les frètes creusées par le temps procure un son à damner un saint.

Sur quelques textes de mélancolie résignée, cette voix timide recouverte d’un voile centenaire flotte au-dessus d’accords faussement monotones (“Nothing to Do But Dream”) et lorsqu’elle atteint les aigus, son chant se courbe de trémolos étouffés (“Moonshiner”). Une dernière ballade au piano, “Mexican Blue”, nous entraîne dans une somnolence jusqu’à la lueur du crépuscule qui prend petit à petit du terrain. Magique. Comme sur les récentes investigations de Chan Marshall, Jolie Hollande s’éprend de vieilles traditions pour mieux les transporter dans le XXIe siècle. Sans moyen de locomotion dernier cri, Skip James, Nina Simone, Leadbelly et quelques vieux bluesmen ont fait le voyage avec elle à bord d’une diligence.

Insoupçonnable, elle dit pourtant détester Robert Johnson et écouter Björk, Oum Kalsoum ou Bad Religion en boucle. Serait-ce pour mieux brouiller les pistes ? En tout cas, on lui pardonne tout.

– Le site de Jolie Holland